Il y en a sûrement qui vont aimer la nouvelle otogar d’Urfa, qu’on inaugure le vendredi 29 janvier. Elle fait moderne. Et puis au moins ça permet de n’être dépaysé nulle part, elles se ressemblent toutes. Enfin, celle-ci a un dôme, pour rappeler vaguement Balikli göl, je suppose.
Après les nouvelles routes – on en élargit partout dans l’Est – poussent les nouvelles otogar, aux capacités d’accueil bien plus importantes : une trentaine de perons pour celle d’Urfa, mais toutes aussi moches qu’un centre commercial. Je regretterai l’ancienne. Plus intime, plus sympa et unique. C’était l’otogar d’Urfa, ça ne pouvait pas être d’ailleurs, à deux pas du coeur de la ville. Quand dans le film Günes Yolculuk (Aller vers le soleil) de Yeşim Ustaoğlu, l’autobus venu d’Istanbul s’y arrête, on la reconnait tout de suite – pour peu qu’on ait fait le voyage, évidemment. La première fois que j’ai vu ce film, ce n’était pas mon cas.
Je pense qu’inconsciemment je suis allée à Urfa sur les traces de ce film, que j’adore. Et de Yilmaz Güney évidemment.
Consciemment c’était à cause de la chanson Urfa’nin etrafi. Que je ne suis pas la seule à aimer. Généralement toute la salle la reprend quand je la demande dans un türkü… ou ailleurs.
(Balikli göl avait été la surprise. Pouvoir se laisser surprendre, c’est l’avantage de détester les guides de voyage)
Evidemment Urfa’nin etrafi, c’est forcément chanté par le plus célèbre des Urfali. Quelle star cet Ibo. Une fois, il s’est installé à la table juste en face de la mienne, au café de l’aéroport de Diyarbakir. En moins d’une minute, la foule était là et les appareils photos des téléphones portables crépitaient. Lui dispensait plein de sourires à ses admirateurs, star 24 heures sur 24 (enfin, dès qu’il sort de chez lui).
Et justement, non seulement Ibo possède sa propre compagnie d’autobus « Tatlises Turizm », mais en plus il a été chauffeur de bus.
… là encore dans un film : Günah
J’ai un peu de mal à reconnaître Ibrahim Tatlises dans le chauffeur du bus …
Mais voilà son bus : Urfa Cesur firmasi !
Et comme naturellement le bus va à Urfa, les nostalgiques trouveront dans Günah des images de la ville en 1983, son otogar et l’atmosphère des voyages de « La vie nouvelle », un roman d’Orhan Pamuk.
Et Ibrahim Tatlises, dit Ibo, star milliardaire à la voix sublime adulée dans tout l’Orient, est convaincant dans ses rôles de personnages populaires. C’est que l’enfant du pays renoue avec ses origines. « Il vient des quartiers d’en bas, pas de la sosyete« , me disait avec un rien de mépris une copine de la « bonne société » d’Urfa. Ces origines populaires contribuent pourtant à expliquer ce rapport « magique » qu’il a su établir et savamment entrenir avec un public composé de toutes les générations, même si l’arabesk, la chanson par excellence du « petit peuple » anatolien échoué dans les grandes villes est souvent dédaignée par les ceux qui se disent « éclairés ».
Ceux qui devront occuper l’otogar flambant neuf n’ont pas l’air de se réjouir non plus. Il faut dire que les loyers y seront 3 fois plus élevés que dans l’ancienne. Ca a un coût le progrès. Et évidemment, elle est loin du centre-ville, ce qui ne fait pas toujours l’affaire des yolcu (voyageurs).
Il ne manquerait plus que les bus y arrivent à l’heure pour que les voyages vers Urfa deviennent aussi rasants qu’un trajet en TGV.
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