La province d’Adiyaman n’avait qu’un député CHP (opposition kémaliste) . Les 4 autres étaient AKP. Le parti de Recep Tayyip Erdogan y avait emporté 67 % des suffrages aux élections législatives de 2011 ! Un beau score . Et dorénavant la province qui, au début des années 2000 encore était dirigée par le CHP, n’est plus représentée que par des députés pro gouvernementaux.
5 députés sur 5 ! A ma connaissance c’est le seul cas en Turquie où le parti gouvernemental domine ainsi de façon exclusive.
Une prouesse acquise grâce à la bonne volonté de Salih Firat, le seul député CHP, qui vient de retourner sa veste et de rejoindre l’AKP. Sans demander l’avis de ses électeurs bien sûr. Or le député, lui même sunnite, devait largement son élection aux voix alévies de la province. Et ce n’est certainement pas « les Alévis sont musulmans et le seul lieu de culte des musulmans est la mosquée » répété dernièrement par Recep Tayyip Erdogan qui a pu les faire changer d’avis ces derniers temps.
Chacun sait en Turquie que les Alévis ne fréquentent pas les mosquées. Avec leur urbanisation et surtout depuis l’émigration vers l’Europe, leur lieu de culte est la cemevi. (maison du cem) Au village, ils n’en avaient pas de spécifique. Et ça m’étonnerait que les Sunnites religieux apprécieraient beaucoup qu’ils accomplissent leurs rituels, partagés par les hommes et les femmes non séparés, à l’intérieur d’une mosquée ! Cela risquerait même de se terminer très mal dans certains coins si certains avaient la mauvaise idée de prendre le chef du gouvernement au mot !
Ce qui n’ont aucune idée des rituels alévis pourront se faire une idée en visionnant la première séquence du beau film Umuda Yolculuk – Voyage vers l’Espoir – de Xavier Koller
Il y a quelques mois le député d’Adiyaman avait défrayé la chronique en démissionnant de son parti en protestation aux propos très controversés de Birgül Ayman Güler une députée de son parti. La députée d’Izmir – une kémaliste pure et dure – estimait qu’on ne devait pas mettre sur un pied d’égalité la nation kurde et la nation turque.. Mais prudemment, il avait choisi de siéger sous l’étiquette « indépendant » après cette démission fracassante.
Ce n’était qu’une étape. Comme le craignaient les Alévis d’Adiyaman qui avaient voté pour lui, il n’a pas tardé à porter leurs voix au parti dominant. Et aujourd’hui la démission du député kurde semble davantage être le résultat d’une cuisine locale qu’un acte de protestation sincère.
Ce n’est pas le premier élu qui se comporte comme s’il était propriétaire des voix qui l’ont élu et change de parti après les élections . C’est même assez banal en Turquie. Il y a quelque temps une mairie AKP touchée par la grâce (selon les sympathisants BDP qui m’en parlaient) est passée au BDP, sans que les électeurs n’aient été consultés par les urnes non plus.
Cela étant je me demande comment Salih Firat va expliquer cette nouvelle étiquette à ses électeurs alévis (et sunnites allergiques à l’AKP, ça existe aussi) d’Adiyaman ! Il va peut-être éviter de les croiser dans les rues d’Adiyaman ou faire comme Oya Eronat, élue à Diyarbakir par les voix « fauchées » aux électeurs d’Hatip Dicle (BDP) : s’installer à Ankara et éviter soigneusement de se rendre dans sa circonscription. Au moins pour un temps.