Ce n’est pas l’image d’un meeting d’un parti islamiste qui est affichée ici, comme les drapeaux verts de l’Islam pourraient le laisser croire. L’enfant sur le podium qui brandit l’un d’eux fait aussi le V de la victoire, signe de ralliement au parti kurde (BDP).
Mais c’est bien à une cérémonie religieuse que participaient environ 15 000 personnes, pour la plupart sympathisantes d’Öcalan et du PKK, le samedi 19 mars à Diyarbakir. Et à une première. C’est en effet la première fois que le BDP le parti kurde, très marqué à gauche, décidait de célébrer la naissance du Prophète. Ses sympathisants avaient été invités à y participer.
Et donc, contrairement à ce que j’affirmais dans mon précédent billet, les drapeaux verts (et rouges) de l’Islam n’y étaient pas absents.
Sur la banderole (verte !) on peut lire : » Contre l’oppression » et « du côté des opprimés »
Mais pas de drapeaux noirs, bien sûr (là, j’avais raison). Le vert de l’Islam voisinait par contre avec des drapeaux vert rouge jaune, les couleurs kurdes au motif du PKK. Un voisinage peu habituel. Dans la foule des femmes aussi, une femme en long tchador (ou niqab, je ne sais pas) noir, une tenue d’ordinaire adoptée par des femmes sympathisantes de partis religieux et sans doute très minoritaire dans cette foule colorée.
Assis dans le rang des hommes on reconnaît Ahmet Türk, le vice -président du DTK organisateur de l’événement. Aysel Tugluk sa vice présidente n’y participait pas. Les médias évoquaient la présence prévue de Gülten Kisanak, la nouvelle maire de Diyarbakir, mais je n’ai trouvé aucune image en témoignant.
J’ai du mal à imaginer Gülten Kisanak-qui est alévie ! – acceptant de rejoindre sagement les rangs des femmes, parmi ces drapeaux verts, ses cheveux couverts d’un foulard. Même si le BDP n’a rien contre le foulard islamique, comme le prouvent plusieurs femmes maires BDP voilées.
Pour l’anniversaire du prophète, la cause n’était bien sûr pas oubliée, comme l’a montré le discours d’Ahmet Türk, qui a présenté une analyse islamique du mouvement de libération kurde (ou peut-être s’agit-il de l’inverse).
Prières et chants religieux (ilahi) en turc et en kurde étaient bien sûr au programme de la cérémonie. Mais c’est son discours qui aurait tiré des larmes aux yeux de nombreuses femmes, selon des médias kurdes, et qui lui a donné sa marque
« Notre croyance est encore plus forte « , a-t-il déclaré, sans doute en référence au parti kurde ultra religieux Huda Par (ex Hizbullah) et aux organisations djihadistes comme Al Nusra ou ISIS/EIIL qui s’affrontent aux combattants kurdes YPG de Syrie. Le mouvement de libération (kurde) est un acte religieux (sünnettir). « Le prophète a dit de ne pas se taire devant l’injustice et l’oppression « .
Ceci me rappelle certains indépendantistes polynésiens, évangélistes férus de la Bible, qui se qualifiaient d' »Hébreux du Pacifique ».. le Pharaon étant bien entendu l’État français. D’ailleurs, Moise (Musa) est cité aux côtés du Prophète pour appuyer l’argumentaire d’Ahmet Türk. Seuls les protagonistes changent.
Le mouvement kurde une juste résistance à l’oppression donc, mais aussi une promesse de paix : « Le prophète Mohammed a résisté à la Mecque, a proclamé la loi à Medine et a fait la paix à Houdaibiya » a-t-il continué. Rappelant aussi par là que la paix est aussi la voie vers laquelle le mouvement kurde s’est engagé (je présume que pour le moment, il arrive à Medine)
C’est un Islam humanisme et ouvert aux autres croyances que prône le maire de Mardin qui souligne que le message du prophète n’est pas seulement libérateur pour les Musulmans : « Nous savons quelle valeur il (Resulullah) a donné à l’être humain. Chaque homme est libre de sa croyance, de sa langue, de sa vie » (Liberté donc pour les Kurdes – dont la langue a longtemps été interdite – mais aussi les Alévis et les Chrétiens de Turquie ).
Mais en organisant cette cérémonie et en donnant ainsi à l’ancien président du parti kurde cette voix de « guide religieux », la commission des affaires religieuses du DTK se destine-t-elle à devenir une sorte de « Diyanet » du mouvement kurde, chargée de promouvoir un « Islam de gauche »(voire davantage à terme) ? Cela pourrait donner une coloration kurde sunnite au parti et ne pas trop plaire aux Alévis (et aux Chrétiens), ni à tous ses sympathisants sunnites, tout aussi ouvert aux autres croyances et respectueux des libertés individuelles cet Islam sunnite soit-il.
Dans sa déclaration initiant le processus de paix, Öcalan (à l’origine de la création de cette commission) évoquait » la fraternité millénaire kurdo-turque, sous la bannière de la fraternité musulmane. » Une fraternité dont les Kurdes alévis ont quelques raisons d’avoir de moins bons souvenirs.
Il faut cependant relever que ni le président du parti Selahattin Demirtas, très populaire près des Kurdes alévis, ni aucun de ses députés (qui viennent de rejoindre le HDP) n’ont participé aux célébrations, organisées aussi dans quelques autres villes, comme Van ou Yüksekova . Quant à la participation (environ 15 000 personnes), on est très loin du raz de marée humain qui envahit la même esplanade pour Newroz, ou même de la foule que rassemble n’importe quel grand meeting du BDP à Diyarbakir.
La foule était bien plus nombreuse (entre 80 000 et 400000 participants selon les sources) le lendemain, sur les mêmes lieux, où Huda-Par (l’ex Hizbullah, ennemi juré du PKK) organisait sa cérémonie pour la troisième fois consécutive…sous une pluie battante.
Les parapluies étaient de sortie
Il faut dire que la célébration fait office de grand rassemblement annuel du mouvement C’est en quelque sorte le Newroz du Hizbullah. Des bus ont amené des sympathisants de toute la Turquie et notamment de provinces (assez) voisines comme Gaziantep, Konya ou Adana.
Et il est probable que des sympathisants AKP de Diyarbakir qui souhaitaient juste célébrer la naissance du Prophète aient choisi de se rendre cette fois encore à cette cérémonie, comme certains sympathisants BDP le faisaient les années passées.
Des invités avaient aussi fait le voyage depuis l’Irak, l’Iran, le Liban, la Syrie, divers pays d’Afrique et surtout l’Égypte.
La cérémonie était placée sous le signe de la solidarité avec les Frères Musulmans victimes de la répression en Égypte. Sur la banderole trilingue : la main de Rabaa, signe de soutien aux Frères Musulmans. « Dans nos têtes, nous sommes en prison » proclamait une autre banderole. Et bien sûr réponse du berger à la bergère, communistes et socialistes qui se targuent d’évoquer le prophète en ont pris pour leur grade
Quelques jours avant la cérémonie, l’université Artuklu de Mardin avait préféré annuler une conférence prévue sur l’homosexualité, qualifiée d’immorale dans la presse pro Hizbullah et par une association de la ville qui leur est proche. C’est dire à quel point leurs « avertissements » ne sont pas rassurants.
Les femmes n’étaient pas absentes de la cérémonie.
Certaines aussi militantes que discrètes… prouvent que le langage par signes n’est pas universel.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la naissance du prophète a été célébrée cette année à Diyarbakir.
A la même date, dimanche 20 Avril, les Arméniens fêtaient Pâques dans la grande église récemment restaurée Surp Giragos. Des œufs colorés de rouge y ont été offerts à Gülten Kisanak, .
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