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Auteur : uonan12
Demirtas : un leader pour les médias – Et un leader pour les Alévis enTurquie ?
Le Guardian à l’instart de nombreux médias occidentaux vient de publier un long portrait de Demirtas. La couverture médiatique intense dont le charismatique leader kurde bénéficie depuis qu’il s’est révélé le tombeur de l’indéboulonnable Erdogan à l’élection du 7 juin dernier est naturellement une très bonne nouvelle pour les Kurdes de Turquie.
Depuis cette date des centaines de leurs militants et 20 co maires de ville petites ou moyennes (qui pour certaines venaient de se déclarer autogérées) sont allés peupler les prisons turques il est vrai.Ils peuvent cependant espérer que la Turquie hésitera peut-être davantage sous de tels projecteurs d’y envoyer les maires des grandes villes kurdes comme Van ou Batman, des sections entières du parti kurde, des militants de son réseau associatif ou des dizaines de journalistes kurdes, comme cela s’était passé lors des grandes rafles du KCK en 2010, sans que cela n’émeuve énormément..
Ils peuvent d’autant l’espérer qu’à cet engouement pour Demirtas et son mouvement s’ajoute le fait que les combattants kurdes toutes fractions confondues y compris les YPG, la branche jumelle du PKK en Syrie, sont devenus les plus sûrs alliés des États-Unis en guerre contre les jihadistes en Syrie et en Irak. Il ne faut pas oublier que c’est avant tout ce statut d’alliés de l’Occident lors de la première guerre du Golfe en 1992 qui avait permis aux Kurdes d’Irak de sortir de l’indifférence dont ils étaient l’objet puis de construire leur (difficile dans un premier temps) autonomie sous les auspices occidentaux. Le tour est venu de la fraction kurde de Turquie. Et si celle-ci n’avait pas eu de mal à convaincre ces mêmes Occidentaux d’inscrire le PKK sur une liste d’organisations terroristes de ce fait interdites, elle a bien moins d’espoir cette fois de réussir à y faire admettre les YPG et le PYD, même s’il s’agit d’organisations sœurs.
Il est vrai aussi que cette volonté affichée par Erdogan ,qui a axé toute sa campagne sur la « menace terroriste PKK/YPG/PYD » ,est sans doute davantage une posture électorale qu’une réelle ambition (sauf s’il a perdu complètement pied avec la réalité et le premier ministre lessivé par 6 mois de campagne avec lui)
Cela dit en Turquie tout le monde a compris ce qu’Erdogan veut dire quand il va jusqu’à accuser l’Ambassade américaine d’avoir organisé la campagne électorale du HDP, s’attirant une fois plus une réplique humoristique bien balancée dont Demirtas a le secret, suivie d’un démenti excédé de l’ambassade. Mais le fait est que la nuit où l’aviation américaine effectuait son premier bombardement sur Kobane (et plus tard y larguait des armes) pour soutenir les YPG qui résistaient depuis des semaines à armes inégales contre l’État Islamique le vent a tourné pour le mouvement kurde de Turquie qui de son côté n’a jamais été aussi uni. Et cela a de quoi inquiéter en Turquie.
Autant dire que les Kurdes de Turquie vont continuer à intéresser les médias occidentaux. Le fait qu’ils aient avec Demirtas un leader dont le charme et l’esprit ne doivent rien aux agences de communication et serait de plus « la seule personnalité politique de Turquie qui pourrait être à sa place dans n’importe quelle capitale européenne » selon l’article du Guardian,ne peut que renforcer cet intérêt.
Cet article évite la manie de faire de Demirtas « l’incarnation de Gezi ». Il est vrai que la nouvelle guerre -pour ne pas dire jihad! – lancée contre les Kurdes depuis l’attentat de l’État islamique à Suruç qui a tué 34 sympathisants du HDP pour la plupart Kurdes alévis et militants du ESP (un parti de la gauche radicale membre de la coalition HDP) a quand même éclipsé les grandes mobilisations de l’été 2012.
Mais qu’est-ce qu’on l’a lu et entendu que« la victoire du HDP de Demirtas était celle de Gezi »en juin dernier.Apparemment, certains l’avaient beaucoup vu haranguer la foule sur la place Taksim ce printemps là. J’avoue que je l’ai loupé. Certes Sirri Sureyya Önder député d’Istanbul du parti kurde (BDP)qu’il co dirigeait y était dès les premières heures de la révolte, faisant barrage de son corps aux bulldozers décidés à arracher les arbres du petit parc. On pouvait penser qu’il en deviendrait un des porte drapeau. Mais cela n’a pas été vraiment le cas.
C’est surtout grâce à l’intelligence politique d’Öcalan (peut-être bien conseillé) qui de sa prison dans l’île d’Imrali envoyait son salut à Gezi, que le mouvement kurde et le drapeau du parti ne sont pas restés complètement en dehors de l’histoire. Mais pas plus le mouvement kurde que les mineurs ou les ouvriers du bâtiment ou des ateliers de textile n’étaient des acteurs de Gezi, même si les Kurdes étaient bien présents – et les Kurdes alévis en masse – dans les manifestations,faisant office de « pare-choc » aux milliers d’étudiants ou aux architectes, moins familiers qu’eux des violences policières
Qui peut d’ailleurs croire qu’un hôtel de luxe d’Istanbul aurait accepté de servir de refuge à des ouvriers ou des Kurdes pourchassés par des forces de l’ordre déchaînées? Je doute même qu’une mosquée d’Istanbul l’aurait fait..
Mais quand les foules exprimaient leur colère dans les villes de l’Ouest du pays, celles de l’est kurdes restaient si sages que des Tomas (camions à eau) ont même pu être expédiés depuis Diyarbakir pour mater « les brigands de l’ouest » . Le parti kurde se gardait bien d’entrer dans la danse et de mettre la région en ébullition alors qu’un processus de paix entre le PKK et l’État turc venait juste d’être entamé.
Seule la province alévie de Dersim fief de la gauche radicale s’était mobilisée, dans ce qui a été entre autre une révolte alévie. Les 7 tués du printemps turc étaient d’ailleurs tous alévis. Dès 2002 les Alévis avaient formé l’opposition la plus réfractaire à l’AKP pro sunnite. Mais depuis qu’Erdogan a décidé qu’il libérerait les Sunnites syriens du joug du tyran alaouite, ils ont même commencé à se sentir menacés, non sans quelques bonnes raisons. « Pour Erdogan les Alévis sont des ennemis» résumait l’un d’eux.
Les Kurdes alévis, base des partis d’extrême gauche dont certains étaient déjà les alliés du parti kurde au sein de la plate forme BDP, nationalistes kurdes ou même sympathisants CHP étaient probablement les principaux destinataires du salut qu’Öcalan envoyait à Gezi. Le parti des minorités ne devait à aucun prix les perdre et si possible, il devait gagner ceux qui n’étaient pas déjà acquis.
Le 7 juin dernier de nombreux Alévis, surtout kurdes mais pas seulement délaissaient le CHP pour voter pour HDP, poursuivant un mouvement entamer lors de la présidentielle de l’été 2014.
Ainsi Dersim, le fief de Kemal Kiliçdaroglu le leader du CHP envoyait deux députés HDP remplacer ses traditionnels députés CHP, parfois issus de l’extrême gauche
A Adiyaman (province mixte à majorité kurde où vit une assez importante minorité kurde alévie) c’est carrément le président du CHP, ancien maire de la ville jusqu’à ce qu’il en soit détrôné par AKP en 2004, qui ralliait officiellement le HDP à quelques semaines des élections. Et pour la première fois un député HDP était élu dans cette province exclusivement AKP depuis que Salih Firat le dernier député CHP qui lui restait (un sunnite disaient les mauvaises langues alévies de la ville) ralliait l’AKP, en omettant d’avertir ceux qui l’élisaient de son projet « Il doit être devenu très riche » me disait ensuite un de ses électeurs kurde alévi naturellement furieux.
Dans cette province le candidat pro kurde ne récoltait que de 6.5 % des voix aux législatives de 2011, Demirtas faisait grimper le score à 15.6 à la présidentielle de 2014 et le HDP récoltait 22.7 le 7 juin.
Le CHP qui ne perdait qu’un point (de 16.6 à 15.5%) entre les législatives et la présidentielle chutait à 11 % en juin et n’avait aucun député.
AKP quant à lui passait de 67.4 % des suffrages à 58.2 % envoyant toujours 4 députés d’Adiyaman sur 5 à Ankara, mais Salih Firat y est peut-être sur un siège éjectable. La publicité que l’Etat islamique a fait pour la ville d’Adiyaman d’où sont originaires les trois jihadistes responsables des trois attentats qui ont ensanglanté le pays depuis le 5 juin dernier (à Diyarbakir 5 tués, à Suruç 34 et à Ankara 102 tués) ne doit pas y faire les affaires de AKP.
On remarque la même progression du vote HDP dans des provinces (Gaziantep 15.2 % pour HDP contre 5.5 en 2011) districts (Pazarcik dans la province de Maras : 22.7 contre 3 % en 2011) ou dans les quartiers de grandes métropoles comme le fief CHP de Sisli à Istanbul (26 % contre 4 % en 2011) où se concentrent de fortes minorités alévies.
Quelques drapeaux turcs (à l’effigie d’Ataturk!) ont peut-être donné le coup de pouce nécessaire. Mais c’est bien davantage grâce au talent de Demirtas et au choix de candidats alévis à même de les séduire dans les têtes des listes HDP à Istanbul ou à Izmir les Kurdes -et certainement aussi de nombreux Turcs -alévis votaient en masse pour le HDP au détriment du CHP. A force de se focaliser sur Demirtas on oublie un peu vite les autres candidats. Or de toute évidence les listes HDP ont été très soigneusement élaborées. Certaines d’ailleurs, comme à Urfa ont été remaniées pour l’élection du 1 novembre, quitte à faire quelques petites entorses à la sacro sainte parité.
Erdogan qui n’avait de cesse de brandir son Coran en kurde et d’accuser le HDP d’être un parti de « mécréants » n’est parvenu qu’à le rendre plus populaire près des Alévis. Cela a eu le même effet sur les Kurdes sunnites. A commencer par les plus religieux parmi eux qui n’ont pas beaucoup apprécié qu’il leur donne des leçons de la sorte. Dans le genre dindar (bigot) beaucoup ont préféré Altan Tan (HDP)
Si comme tout le monde l’a bien remarqué AKP a perdu une large fange de son électorat kurde (sunnite) considéré à mon avis à tort ou du moins avec une certaine exagération comme les Kurdes les plus pieux, cela a aussi été le cas pour le CHP, même si c’est dans une moindre mesure. Surtout comme cette perte a été compensée par un apport de voix venues elle aussi de l’AKP elle a été moins visible. Mais pour ma part plus que jamais je continue à penser que le HDP est avant tout le parti des Kurdes et des minorités en Turquie.
Depuis il y a eu l’attentat de l’État islamique à Suruç. Et en Turquie tout le monde l’a compris : outre le HDP (et la gauche radicale) il visait les Kurdes alévis, victimes de nombreux massacres avant et depuis la naissance de la République. Le dernier d’une longue série était l’incendie de l’hôtel Madimak dans lequel 33 Alévis ont péri brûlés en juillet 1992. Or cela Erdogan et Davutoglu ont obstinément refusé de le reconnaître. Ils ont délibérément choisi au contraire de prétendre que l’unique cible de ces attentats était l’unité du pays et leurs auteurs le résultat d’une inimaginable collusion entre l’État islamique, l’extrême gauche, le PKK, le PYD kurde de Syrie et les services secrets (sous entendus alaouites) d’Assad.
Entendre : les Kurdes (PKK/PYD) + Alévis (extrême gauche, Assad) ces éternels dangers pour l’unité du pays conçue comme la synthèse turco sunnite chère aux nationalistes turcs (Vatan Bozulmak) sont les coupables et non les victimes de cette série d’attentats, dont le plus meurtrier de l’histoire de pays.
Autant dire que les Alévis ont de bonnes raisons de se sentir menacés dans une Turquie dirigée par un parti AKP qui semble bien s’être mué en parti ultra nationaliste-sunnite depuis qu’Erdogan en est le seul maître.
« Pour défendre la cause alévie, un leader sunnite ouvert aux alévis serait bien mieux placé en Turquie qu’un leader alévi » estimait bien avant ces attentats une jeune femme turque alévie, plutôt sympathisante CHP (c’était après les élections municipales d’avril 2014) Lequel entre Kiliçdaroglu (alévi) et Demirtas (sunnite ouvert aux alévis) les électeurs alévis estimeront le mieux à même de les représenter ? Une seule chose est sûre, le taux d’abstention sera ultra faible le dimanche 1 novembre parmi les Alévis de Turquie.
La UNE du Spiegel : une vision exotique de la femme kurde, même combattante.
La UNE que le très sérieux hebdomadaire allemand Der Spiegel vient de consacrer à la résistance kurde à Kobane montre évidemment l’enjeu qu’a pris cette bataille contre l’Etat islamique. Cela fait pourtant 2 ans que les YPG se confrontent avec les fractions jihadistes, EI et encore davantage Al Nosra, soutenues par la Turquie voisine, dans l’indifférence générale – sauf des Kurdes de Turquie. Mais le PYD sous l’égide duquel l’autonomie des 3 cantons kurdes a été proclamée en 2012 était bien trop proche du PKK. Il était suspecté pas certains d’y construire une « autonomie démocratique » alla « Corée du Nord »en Syrie, à mille lieux de l’expérience démocratique du Kurdistan d’Irak « encouragé « par la forte présence occidentale (Ex Total, Carrefour, Siemens ou Exxon Mobil, bien connus pour leur défense de la démocratie)
Certes, difficile de nier les tendances autoritaires du PYD. De là à prétendre que c’est par là qu’il marque principalement sa différence avec les autres partis/ fractions kurdes…hum.A moins que cela m’ait échappé, il ne m’a pas semblé voir beaucoup de manifestations de soutien à Kobane à Erbil ou Dohuk par exemple. On se demande bien pourquoi..
Depuis la prise de Mossoul par EI en juin dernier, les YPG ont face à eux des ennemis bien plus puissamment armés qu’eux. Mais même la mobilisation des Kurdes de Turquie, qui ont franchi par milliers sans doute la frontière entre la Turquie et le Kurdistan de Syrie (Rojava) pour rejoindre les YPG et se confronter à Daech à l’appel d‘Öcalan en juillet dernier, n’avait pas mobilisé les médias internationaux.
Pourtant beaucoup de tués certainement parmi ces volontaires qui, après avoir souvent fait « leurs armes » dans la guérilla urbaine contre les forces de police turques (cevik kuvvet),sont des combattants plein de bravoure, mais peu formés et peu disciplinés, à la différence de leurs camarades formés par le PKK à Qandil ou dans les camps de formation de Rojava, les cantons kurdes autonomes de Syrie (eux aussi encadrés par d’anciens guérillas HPG/PKK)
La résistance kurde dans une lutte des « fusils contre les chars » à Kobane soutenue par une immense mobilisation kurde à travers le monde, puis le soutien US aux YPG a changé la donne. Les YPG considérés auparavant trop liés au PKK, sont devenus les plus sûrs alliés de l’Occident dans la lutte contre l’Etat Islamique. Avant de résister « jusqu’au dernier » sous les feux des caméras à Kobane, ils l’avaient prouvé en se portant au secours de leurs frères kurdes yézidis, abandonnés à la démence raciste des jihadistes par les peshmergas chargés de les protéger. A défaut d’être complètement démocratique, le mouvement kurde pro PKK montrait bien qu’il n’était pas sectaire (qu’il est laique si on préfère) et qu’au-delà de celui de Kurdes (sunnites) il était bien devenu celui des minorités, sans doute plus seulement en Turquie et en Syrie.
Cette UNE du Spiegel, est une reconnaissance de leur résistance qui n’a donc rien d’étonnant. Plus questionnante est l’image qu’elle veut donner de cette résistance kurde à Kobane.
Ce qui frappe dans la composition de cette UNE,c’est naturellement la prédominance de l’élément féminin.La tragédie kurde est illustrée par des petites filles réfugiées, dont l’une est en larmes. Le choix d’enfants en pleurs s’explique aisément. Ils sont sensés être des victimes plus innocentes que les adultes et plus sensibles qu’eux à la tragédie que les adultes. Ce qui est une idée fausse – les rires d’enfants doivent continuer à retentir dans les camps de réfugiés – mais que le lecteur est sensé partager.
On doit trouver des milliers de photos d’hommes les larmes aux yeux tout aussi émouvantes. Pleurer n’est pas un signe de faiblesse pour un homme en Orient Seulement s’est une manifestation d’émotion et de « fragilité » réservée à la gente féminine en Allemagne. Ces petites filles en larmes représente donc l’élément féminin, fragile et particulièrement menacé, de l’image. Une image qui ne rompt pas avec celle régulièrement véhiculée par les médias turcs, comme occidentaux, de la femme kurde pliant sous le joug masculin, vivant sous la menace continuelle d’être victime d’un crime d’honneur ou d’un mariage forcé et que « son papa refuse d’envoyer à l’école ».
En contraste avec cet « éternel féminin kurde », faible et menacé, se dresse en premier plan, dominant largement ses frères combattants, une jolie combattante YPG-J. Si mignonne qu’elle trouverait sa place comme figure de la femme kurde libérée (et citadine) dans un film d’Hineer Salem. Et que n’importe quel jeune Allemand serait flatté d’accompagner dans un restaurant chic de Berlin ou à un vernissage. Ce serait certainement moins le cas si, tout aussi brave, elle avait été moins jolie ou si elle avait porté le petit foulard que l’on voit porté par les combattantes kurdes sur bien d’autres images. Un foulard qui présente l’avantage de protéger du soleil. Et surtout de souligner l’implication du peuple dans la résistance kurde à Kobane. Ce sont les femmes du peuple qui portent ce genre foulard.
Accessoirement il éclipse pour un temps l’image de la guérilla HPG/ PKK(jamais foulardée) dont l’engagement n’est pas oublié lors des ses funérailles, quand elle tombe dans les rangs YPG-J. Mais le PKK est « classé organisation terroriste par etc etc… » Pas les YPG. Ce qui arrange bien tout le monde.
Même la Superwoman YPJ porte un de ces petits foulard (aux couleurs kurdes bien sûr) qui semble rebuter le Spiegel, sans doute car il est à l’antithèse de l’idée qu’on se fait en Allemagne de la femme libérée. Ceci est bien sûr valable pour la France, comme pour l’Occident en général, dont les magazines féminins s’amourachent de ces « superwomen kurdes ». Quant au peuple, que ce soit dans les vernissages de Berlin ou d’Istanbul, sa place est au mieux dans les vidéos. (Cela étant Der Spiegel voulait peut-être aussi un peu embêté Recep Tayyip Erdogan, qui agace pas mal en Allemagne en affichant ainsi une combattante si semblable aux guérillas/ HPG PKK ).
Les femmes représentent 35 % des troupes YPG, et la propagande/ communication du mouvement kurde est certes la première à utiliser leur image, à l’antithèse de celle de l’ Etat Islamique obsédé à cacher le corps des siennes et à violer celui des autres. Mais cette forte présence des femmes kurdes n’est pas une nouveauté au sein de la guérilla kurde. C’est une réalité depuis 30 ans et qui s’est accompagné d’une forte implication féminine dans le domaine politique : la parité est de mise au sein des partis et autres organisations du mouvement kurde pro PKK, de Turquie comme de Syrie. Et les femmes n’y sont pas des potiches.
« J’adore Selahattin Demirtas, il parle toujours d’une voix douce. Ce n’est pas comme nos femmes (du parti) : elles sont dures (çok sert) », me disait une adolescente de Hakkari où le très populaire président du HDP est un des députés.
Ce sont les femmes de la famille qui me recevait que j’avais accompagnées à de grandes funérailles de sehit (martyrs) à Diyarbakir – 6 tombés le même jour. Leurs maris (militants au sein du parti légal kurde) évitent de s’y montrer à cause de procès (dosye) en cours. On avait déposé les enfants à l’école avant de rejoindre l’immense cortège.
Avant de sortir, elles avaient mis le foulard que la plupart des femmes portent après le mariage dans les milieux populaires de Diyarbakir. Leurs belles-soeurs étudiantes en droit ou commerçantes n’en portent pas. Les unes ne sont pas moins acquises à la cause que les autres et n’ont pas moins leur mot à dire sur le sujet politique.
Parmi les nombreuses élues à la tête des municipalités kurdes (où la parité est de mise) quelques femmes le portent. Le Parti (kurde) n’en fait pas une question de principe à la différence du CHP (ses rares élues n’en portent pas) et de AKP (dont les encore plus rarissimes élues en portent).
Le partage des tâches ménagères, par contre, autre symbole de la liberté féminine en Allemagne, ne m’a pas paru évident au sein des couples d’anciens guérillas/PKK que j’ai rencontrés. Après la kalachnikov c’est souvent « le balai » pour la hevale (camarade), sauf quand une reconversion réussie au « paradis affairiste » du Kurdistan irakien permet de s’offrir les services d’une bonne – comme la plupart des femmes bourgeoises « libérées » de Berlin ou d’Istanbul. Mais à chacune de choisir le modèle et les priorités qui lui conviennent. Et ce n’est pas car une femme est une ménagère qu’elle est une « femme soumise »pour autant. De toute façon pour l’héroïne kurde de la UNE du Spiegel, la question ne se pose même pas. On ne l’imagine pas plus se tapant le ménage, que les « héroïnes kurdes libérées » des films de Hineer Salem.
Mais entre super nana qui « domine/s’écarte/ s’éloigne de ses frères combattants » (pour lui préférer l’irrésistible homme occidental?), digne de s’asseoir dans un salon berlinois et la victime écrasée par le malheur d’être née kurde ( et musulmane), c’est bien la sempiternelle image exotique de la femme kurde que cette UNE du Spiegel continue à véhiculer. Bien loin des réalités kurdes.
Et si cette focalisation des médias occidentaux sur la femme combattante kurde exaspère certains commentateurs turcs, la façon dont elle est traitée agace aussi dans les milieux kurdes.
Cela étant je ne préjuge pas ici de la qualité des articles de ce numéro du Spiegel, ni sur la façon dont la question kurde y est traitée, puisque je dois avouer que je ne les ai pas (encore) lus.
Combattants kurdes peshmergas, PKK, YPG et yézidis de Qasim Shesho à travers les clips.
On pourrait consacrer tout un blog aux clips à la gloire des combattants kurdes peshmerge, PKK ou YPG. La chanson a toujours fait partie des outils de propagande de prédilection des différentes fractions kurdes. Mais évidemment depuis que leurs combattants ne se confrontent plus à une armée étatique, mais aux jihadistes de l’Etat islamique, on assiste à une prolifération de nouveaux clips. Au-delà de la propagande, ces clips en disent beaucoup sur les différentes troupes kurdes combattant l’Etat islamique.
Pour célébrer les peshmergas du KRG (province autonome du Kurdistan en Irak), cette chanteuse a repris une des chansons les plus célèbres du chanteur kurde Sivan Pewer. Elle se met en scène comme soldate (très pomponnée, visiblement elle sort de chez sa coiffeuse/maquilleuse) d’une armée conventionnelle qui marche au pas cadencé.
Une image bien différente de celle de guerriers « aux pieds nus » que le célèbre chanteur kurde de Siverek (province d’Urfa ) évoquait dans son clip Helvano; une autre de ses chansons (très connue elle aussi), très mélancolique celle -ci . Si la chanson est beaucoup plus ancienne, le clip doit dater de 2007. Le chanteur se met lui aussi en scène parmi un groupe de combattants rassemblés autour d’un feu de camp de « campagne ». Ils y évoquent le souvenir de ceux qui sont tombés.
Le chanteur a aussi mis son talent au service de la guerre contre Daech. Dès juin il dédiait une nouvelle chanson aux pershmergas du KRG- où il a quasiment un statut de chanteur officiel.
Pas sûre que le clip qui fait un hommage (très) appuyé à Barzani ait fait fureur chez les peshmerge UPK (le parti de Talabani), très présents sur le front de Kirkouk. Mais cela m’étonnerait aussi que ce clip soit toujours divulgué sur les chaînes de TV pro barzanistes. En effet il ne se contente pas d’être un hommage aux « nouveaux pershmergas », c’est aussi le rattachement de facto au Kurdistan (KRG) des régions contestées qu’il chante.
Seulement parmi ces territoires contestés, outre Kirkouk, il y a Sinjar (Shengal en kurde). Avec la façon dont les peshmergas (PDK) se sont débinés en abandonnant la population yézidie qu’ils étaient sensés protéger des tueurs islamiques, la bataille de Sinjar va plutôt marquer une page noire de l’histoire des peshmergas et des luttes kurdes.
Les Kurdes qui se gaussaient sur les médias sociaux du colonel de l’armée irakienne ( surnommé le Lion de Maliki) lorsqu’il s’était replié après avoir résisté une semaine à Tel Afar contre l’armée islamique, ont alors assisté à un repli autrement moins glorieux de leurs propres combattants. Même avec la meilleure volonté du monde impossible de parler de résistance.
Depuis la tragédie du 3 août, il a écrit une autre chanson sur Sinjar. Cette fois guérillas (HPG/PKK) et YPG participent aussi au combat contre l’Etat Islamique. Il me semble que c’est assez rare pour être relevé .Mais le clip donne l’impression que les frères kurdes de Rojava sont venus prêter main forte aux peshmergas. Alors que ce n’est pas tout à fait ainsi que cela s’est passé.
Dès le 3 août les YPG de Rojava entraient à Sinjar que les peshmergas abandonnaient. Avec le soutien de guérillas HPG/PKK arrivés directement de Qandil, ils réussissaient quelques jours plus tard à créer un corridor qui a permis à des dizaines de milliers de Yézidis réfugiés dans la montagne de fuir. L’apport déterminant des combattants PKK à Sinjar, mais aussi à Mahkmour ou Gwer, a fait grimper leur prestige dans tous les territoires kurdes, où les « guérillas » (combattants PKK) étaient déjà souvent populaires au sein de la population : admiration pour le « combattant kurde des montagnes » en lutte contre un Etat puissant, le plus souvent sans adhérer pour autant au » système » (organisation de la société) PKK, il m’a semblé.
Je ne suis donc pas certaine que la nouvelle chanson de Sivan Perwer fasse partie du répertoire des combattants de Qasim Shesho quii avait résisté avec ses hommes contre l’Etat islamique le 3 août à Sinjar, quand les pershmegas se repliaient. Si aujourd’hui, celui qui est devenu un héros pour les Yezidis se bat aux côtés de ces derniers, c’est à la tête de ses propres troupes constitués de volontaires yézidis (et Turkmen) , en partie entraînés par les YPG kurdes de Rojava, le Kurdistan de Syrie J’ignore s’il a conservé sa carte du parti PDK, mais le moins qu’on puisse dire est que la confiance des combattants yézidis dans les peshmergas du KRG a été sérieusement écornée.
Les images de peshmergas devenus des militaires d’une armée conventionnelle (de plaine dans les nouveaux clips), contraste avec celles des HPG/PKK restés des « guerriers aux pieds nus des montagnes ». Le lever du soleil, symbole du Kurdistan, promet aussi lendemains qui chantent. Chant a capella de mise pour cette marche des guérillas que tout gamin de la province d’Hakkari connaît depuis la maternelle. Elle y fait partie du répertoire chanté dans toutes les fêtes de mariage. Ce clip date un peu, mais reste très représentatif.
Ceux qui sont coutumiers des chaînes de TV kurdes pro PKK sont coutumiers aussi de ces images de guerillas dansant le halay dans un campement de montagne. Là aussi on insiste sur la frugalité et bien sûr la mixité. Inutile de souligner ce dernier point. Ceux qui ignorent encore que les femmes sont nombreuses dans les rangs des HPG et des YPG ne doivent jamais ouvrir un magazine. Mais on remarque à leurs sourcils soigneusement épilés que les femmes ne sont plus contraintes de renoncer à toute coquetterie quand elles rejoignent la montagne.
Les YPG kurdes syriens sont les derniers nés des troupes kurdes. Mais même si leur proximité avec les HPG qui les ont formés et encadrés, n’est pas un mystère, les clips en leur honneur se distinguent des leurs. Comme le monde entier le sait (sauf quelque élue UMP qui a peut-être fini par l’apprendre) , il s’agit là aussi de combattants sans solde et dont l’équipement reste sommaire (surtout à Kobane). Mais comme les pershmergas (et à la différence des HPG/PKK) ils constituent depuis l’été 2012 l' »armée » d’un territoire autonome kurde de Syrie.
Pas étonnant donc que les clips les montrent défilant dans les villes des cantons de Rojava, comme dans ce clip déjà (un peu) ancien. Comme on le voit aussi – et contrairement à ce que beaucoup imaginent – la bataille de Kobane est loin d’être leur première expérience de guérilla urbaine.
Mêmes remarques pour ce clip plus récent et de meilleure qualité. Les halays dansés par les civils sont en live cette fois (je pense pendant une fête de Newroz, mais les kurdophones doivent pouvoir le déduire à la date qui apparaît sur une affiche).
Les YPG ont conservé l’habitude de leur grands frères et soeurs HPG/ PKK de danser des halays pour se détendre un peu sur le front. Ils aussi ont conservé leur répertoire. Le décor lui par contre a changé. Il est urbain cette fois. Cette vidéo a été prise lors des fêtes du Sacrifice, au début du mois peut-être dans Kobane assiégée, peut-être dans un autre canton de Rojava où on se bat aussi contre les jihadistes.
Pour ma part j’adore cette vidéo d’un concert impromptu de YPG, qui me rappelle l’ambiance des bringues tahitiennes. Elle montre bien que quelque soit les circonstances, les Kurdes sont toujours prêts à se marrer. C’est sans doute ce qui fait aussi leur force contre Daech, qui comme tous les fanatisés se prennent énormément au sérieux.
L’ange paon (Melek Taus) des Yézidis à l’honneur sur les robes kurdes dans les mariages d’Hakkari
A Hakkari, on n’a pas attendu que l’État islamique fasse une terrifiante entrée à Sinjar pour découvrir les Yézzidis et leur ange paon (Melek Taus). L’été dernier, l’ange paon était déjà très prisé des élégantes lors des grands mariages de cette province kurde très lointaine d’Istanbul, mais frontalière avec le Kurdistan irakien. Les relations familiales et tribales avec Dohouk notamment où vivent de nombreux Yézidis, y sont denses.
Je ne sais pas si c’est du Kurdistan que venait cette mode du motif du paon sur les robes de mariage, mais il était souvent à l’honneur sur les nouvelles robes que se font confectionner les proches de la mariée. La jeune fille sur l’image est la petite sœur de la mariée. C’est elle-même qui avait dessiné sa robe qu’un couturier de Yüksekova où elle vit et où se déroulait le mariage, lui a ensuite confectionnée. Elle avait auparavant acheté les plumes de paon qui ornent son décolleté dans une boutique à Van.
Des couleurs qui rappellent le plumage du paon pour le bas de la robe. J’aurais préféré un vert au bleu pour ce plumage. Pour les manches de la robe, elle a choisi une coupe dite « manches Talabani » à Hakkari. Je ne sais pas si la petite sœur de la mariée ( elle aussi très belle) souhaite devenir styliste, mais elle pourra peut-être envisager une carrière de mannequin ou mieux d’actrice.
Les plumes du paon aussi, cette fois associés à un motif floral sur la nouvelle robe de sa cousine.Celle-ci a préféré conserver » la manche d’Hakkari » : une très longue manche portée nouée.
On retrouve aussi ses plumes sur la robe de cette élégante à droite, venue de Van pour le mariage. Les ceintures sont en argent. A Hakkari même les petites filles en portent sur leurs robes lors des mariages. Pour l’or, elles attendront les fiançailles.
La même invitée – et la même robe – vue de dos cette fois.
Encore une invitée venue de Van et dont la robe s’ornait de motifs du paon. Elle ne doit pas y vivre dans un gecekondu...
Tout le monde était loin alors de se douter de la tragédie qui allait frapper les Yézidis, un an plus tard exactement, de l’autre côté de la frontière.
Des milliers de touristes kurdes irakiens prennent le bus pour des vacances-shopping en Turquie.
Ces dernières semaines des dizaines de milliers de réfugiés surtout kurdes yézidis ( mais des Chrétiens et des Turkmènes aussi ) ont franchi, le plus souvent clandestinement, la frontière entre l’Irak et la Turquie, le peu d’argent qui leur restait après avoir tout perdu servant alors à payer les passeurs. Mais d’autres flux de voyageurs, beaucoup moins misérables, entrent aussi en Turquie rapporte Hürriyet.
Des milliers de touristes kurdes (et sans doute turkmènes) irakiens la franchissent aussi chaque jour, en toute légalité cette fois. Et ils seraient nombreux à passer par le poste frontière de Habur en autobus, selon le journal qui rapporte que 900 passagers sont transportés chaque jour par les deux compagnies (turques) qui desservent la Turquie.
J’‘ai déjà testé ce moyen de locomotion pour me rendre de Diyarbakir à Erbil. Et il n’y avait pas beaucoup de touristes parmi les passagers. Il s’agissait pour la plupart d’ouvriers et de petits entrepreneurs kurdes (ou turcs) de Turquie. Ces derniers auraient sans doute privilégier l’avion…s’il existait une ligne Diyarbakir/Erbil. Mais faute d’aéroport international dans la principale métropole kurde de Turquie, une escale par Istanbul est obligatoire. En gros pour se rendre à environ 450 kms de là, ceux qui s’y rendent en avion font un détour de plus de…2000 kms. Le billet d’avion commence à devenir très onéreux. Et dans le style voyageur/ pollueur ont doit difficilement mieux faire.
Il est probable qu’en période de vacances scolaires, le pourcentage de touristes kurdes parmi les passagers transportés par ces firmes d’autobus augmente. Mais cela m’étonnerait qu’ils remplissent leurs bus.
Le prix du billet (90 $ pour un aller Erbil – Istanbul ) est attractif, surtout pour ceux qui voyagent en couple ou en famille. Mais ils seraient loin d’être des touristes fauchés. Ils disposeraient la plupart du temps d’au moins 10 000 $ pour un séjour moyen d’une dizaine de jours selon l’article. Un joli budget petites vacances de nouveaux riches. Mais si je ne doute pas que beaucoup d’entre eux dépensent des sommes pareilles pendant leurs petits séjours,, cela m’étonnerait quand -même qu’ils constituent la majorité des touristes du Kurdistan irakien en Turquie.
Cela étant même à 180 $ l’aller retour, ces voyages sont devenus hors de portée de tous ceux qui ne vivent que de leur salaire de fonctionnaire – apparemment, il y aurait quelques petits abus. Dernièrement le journaliste Kamal Chomani révélait sur son compte Twitter que 4500 fausses retraitées des…peshmergas (un « corps » très peu féminisé pourtant) venaient d’être radiées des listes des pensionnées.Pour certaines de ces « fausses ex héroïnes » du Kurdistan , la pension devait surtout servir d’argent de poche pour le voyage à Istanbul.
Pour les vrais fonctionnaires, par contre c’est la crise. Cela fait des mois que par mesure de rétorsion Bagdad ne verse plus leurs salaires. Ils se retrouvent donc sans revenus alors que les prix ont flambé depuis mi- juin avec l’interruption du trafic routier avec Bagdad et l’arrivée en masse de réfugiés. Ceux qui peuvent s’offrir des petites vacances shopping à Istanbul, sont ceux ne la sentent pas passer.
Évidemment avec 10 000 $ en poche pour la semaine, on doit pouvoir s’offrir de chouettes hôtels et de bons restaurants à Istanbul. Mais c’est surtout aux emplettes que cette somme rondelette est destinée. Et comme les touristes tahitiens qui prenaient d’assaut les lignes aériennes Papeete Los Angeles pour aller faire leur shopping « à Los », au retour ils doivent avoir un sacré paquet de kilos de bagages. On comprend donc que pour ces touristes-shopping, l’autobus qui accepte beaucoup plus de bagages présente des avantages.
Et tous les touristes du Kurdistan irakiens ne se rendent pas à Istanbul. A Urfa, ils ont remplacé les pèlerins iraniens qui faisaient étape à Balikli göl lorsqu’ ils se rendaient au mausolée de Zeynep en Syrie. Pour la plus grande joie des commerçants et hôteliers de la ville : les pèlerins iraniens appartenaient surtout aux classes modestes et ne dépensaient donc presque rien. Ils sont aussi nombreux à se rendre sur les plages de la région de Mersin. Pour ces destinations touristiques, le bus n’est pas seulement beaucoup moins cher que l’avion, il est aussi plus pratique…quand on ne s’y rend pas avec sa voiture.
Le journaliste qui a rédigé l’article avait du pour sa part se rendre en avion d’Istanbul à Erbil, s’il y est allé. Il parle de 25 heures pour effectuer ce trajet en autobus ! C’est sans doute ce qui lui a été dit à l’agence, mais il aurait du vérifier. En effet, c’est la durée qu’il m’avait fallu pour me rendre d’Erbil …à Diyarbakir. Et les pauvres passagers qui continuaient jusqu’à Istanbul (des ouvriers turcs ) avaient encore plus de 20 heures de trajet devant eux. Certains étaient en route depuis Bagdad. Autant dire qu’ils n’allaient pas souvent se reposer près de leur famille, le temps que durait leur chantier.
Certes, le passage au poste frontière de Habur avait « exceptionnellement »duré 15 heures. Mais selon les passagers qui étaient coutumiers de ce trajet, une telle attente n’était pas si exceptionnelle que cela. Ils avaient même vu pire. Et par les temps qui courent, je crains même qu’elle ne soit même la norme. Au moins, ils ont pu peut-être gagner en 8 ou 9 mois, en bossant sous des chaleurs torrides, la somme que certains touristes voyageant sur les mêmes lignes dépensent en quelques jours.
A mon avis, il doit falloir compter plutôt autour de 40 heures de trajet pour un trajet Istanbul – Erbil en autobus à 90 $. Mais j’avoue que je n’ai nulle envie de le tester, du moins pas le trajet direct. En flânant en chemin et en prenant une semaine pour m’y rendre, là je veux bien. Et j’attends surtout qu’un poste frontière soit enfin ouvert entre Hakkari et Suleymaniye. Cela fait longtemps qu’il est en question, cela va peut-être finir par arriver.
A un poste de contrôle sur la route entre Van et Hakkari, un « komandan » turc, sans doute mal luné, m’a un jour accusée d’être passée kaçak (clandestinement) du Kurdistan irakien en Turquie, tout ça car il n’arrivait pas à retrouver le dernier tampon d’entrée sur le territoire turc parmi les dizaines que comportent mon passeport. Mais ce n’est pas le genre de petit jeu auquel je me risquerais. Et du coup, le détour obligatoire pour se rendre de Dohouk à Hakkari prend du temps .
Et pour les camions, cela doit commencer à faire cher la tonne de frêt transporté. 3 camions d’aide pour les réfugiés yézidis sont partis hier de Yüksekova. Entre trajet et formalités douanières, ils vont certainement mettre plusieurs jours à arriver à destination.
Après 6 jours de shopping non stop dans les centres commerciaux d’Istanbul, ce doit être assez reposant, ces 40 heures de bus. Cela étant, ces touristes dont le budget de la semaine de vacances dépassent 10 000 euros c’est surtout sur les lignes régulières Erbil/ Suleymaniye – Istanbul qu’on doit les croiser. Quitte à ce qu’ils reprennent l’avion le mois suivant pour aller chercher la petite robe qui ne logeait pas dans la valise.
Yasemin büyük bir sabırla Tatvan’ın Çorsin köyünün kürt efsanelerini yazıyor – Tatvan, Bitlis.
Yasemin kitap taslağını, yakın zamanda Kürtçe yayınları ile tanınan Avesta Yayınevine gönderdi. Bu iş onun yıllarını aldı ancak Yasemin, çocukluğunda amcasının Çorsin köyünde (Türkçe ismini bilmediğim ve Vangölü’nün kenarındaki bu kürt köyünün gerçek ismi Ermeni dilinden gelmektedir) anlattığı ve herkesin büyük bir ilgi ile dinlediği bu efsanelerin kaybolmasını ve yeni kuşaklar tarafından unutulmasını istemiyor. Şimdilerde hiç kimse bu efsaneleri anlatmaz oldu. Televizyon efsane anlatıcılarını bir bir susturdu. Çorsin köyü sakinlerinin büyük çoğunluğu, Tatvan’ı ya İzmir ve İstanbul gibi şehirlere gitmek, ya da başka bir ülkeye yerleşmek için terketti.
Komşu köyler Axkus ve Axeta gibi ; evleri taşlardan inşaa edilmiş Çorsin köyü de 1995 yılında Türk ordusu tarafından boşaltıldı. Köyün yanından geçen yolda, Van’daki bir firmaya ait bir otobüs durdurulmuş; içindeki yolcular indirildikten sonra da ateşe vrilmişti. Bu « uyarma » işini üstlenmiş insanların gerçekten bu köylerden birinden gelip gelmediklerini hiç kimse öğrenemedi. Ancak bu köylerin uslu durmadıkları biliniyordu. Daha 1970’li yıllarda bu köylerin gençleri « komünist » olmakla itham edilmiş ve bu yüzden de civar köylerden bazıları ile arada bir sorun yaşıyorlardı. Yakılan otobüsün acısını da yine onlardan çıkarttılar.
Ramazan ayına bir gün kala, bu köyün sakinlerinden birinin düğününe davetli olduğumuz İzmir’in Buca ilçesinde, Yasemin kürt halayını çeken, genç ve güzel kuzenlerini gösterdi bana. « Köyün yıkılışından bir kaç gün sonra, onları İzmir’e topladık. Hepsi bebek sayılırdı ve çorapları kaçış esnasında delik deşik olmuştu ». Bir kaç yıldan beri, köylere gidiş serbest ; tekrar inşaa edilen Çorsin köyüne de bazı kişiler yeniden yerleşti. Ancak konuştuğum kadınlar, bana köyün yıkılışını derin bir öfke ile anlattılar.
Yasemin köyünü çok erken yaşlarda terketmiş. Annesi onu İzmir’de yaşayan bir akrabası ile evlendirme kararı aldığında, Yasemin henüz 14 yaşındaymış. Ailesinin erkekleri tarafından çok sevilen Yasemin (diğer kızkardeşi daha çok küçüktü) annesinin verdiği bu kararı hala anlamış değil. Evlilik ve düğün işlerini genellikle kadınlar yaptıgı için babası bu meseleye çok karışmamış. Yasemin’e göre babası aydın bir imamdı (Irak Kürdistan’ında karşılaştığım Yasemin’in erkek kardeşi babani « demokrat bir imam » olarak nitelendirmişti) çünkü Tatvan’daki Medreseyi bitirmişti. Daha sonra ise, resmi imam olabilmek için bir imam hatip lisesine girmiş. Yasemin’in babası, kemalist cumhuriyetten çok, şahsen tanıdığı Mustafa Barzani’ye bağlıydı. Paris’te tanıştığım bir Tatvanlı, daha çocukken Kürt olmayı ondan öğrendiklerini söylemişti bana. 1970’li yıllarda Yasemin’in babası DDKO örgütüne yakınmış. Daha sonra Istanbul’teki Kürt Enstitüsüne üye olmuş. Ve, yanılmıyorsam, Kuran’ın Kürtçe’ye tercüme edilmesinde de rol oynamış. Aynı zamanda dini kaideler konusunda da oldukça özgürlükçü oldugu söyleniyor.
Babalarından büyük bir hürmet ile bahseden çocuklarından hiç biri ramazanda oruç tutmuyor. Bu yaz aileden sadece alevi olan gelinleri oruç tutuyordu. Ben Yasemin’in babasını ne yazık ki sadece, Yasemin’in ailesinin evinin duvarlarına asılı potograflardan tanıyorum. Yasemin’in kardeşlerinden biri ile Erbil’de tanıştığım yaz, Yasemin’in babası da kendisine çarpan bir arabının altında kalarak hayatını kaybetti.
Erkek ve kız kardeşleri gibi Yasemin’de okumuş ve düzenli bir şekilde Tatvan’da sinemaya gitmiş. Doğudaki bir Kürt köyünden, ülkenin batısındaki Ege metropollerinden birine, Gültepe’deki bir gecekonduya gitmesi ; onun için özgürleşme değil, tersi olmuş. « Köyde bir köy kültürümüz vardı. Kocamın ailesi bu kültürü unutmuş ama şehir kültürünü de edinememişti. Dolayısı ile ben de kendimi kültürsüz bir ortamda buluverdim. Ben çok gülen, sosyal bir insandım. Ama kayınvalidem bana gelen misafirlerin önünde gülmeyi yasaklamıştı. Ona göre bu utanılacak bir şeydi. Üstelik ben çok güzel bir kadındım ve güzel olmak hoşuma gidiyordu ». Yasemin her söyleneni yapan bir insan olmuş ve zamanla eşinin ailesi gibi kürtçeyi de unutmuş. Kürtçe’nin tamamen yasaklı olduğu 1980’li yıllarda, ülkenin batısına göç etmiş Kürtler, kendi kürtlüklerini kolay kolay gösteremiyorlardı. Başka bir Tatvanlı, Yasemin’in kendi çocuklarına öğretmeye korktuğu kürtçeyi, babasının kendilerine korka ürke öğretttiğini anlatmıştı bana.
Yasemin çok gençken eşini kaybediyor ve iki oğlunu tek başına eğitiyor. Aslında tek başına demek yanlış, çünkü eşinin ailesi ve kaynı aynı binanın üst katında yaşıyorlar. Zaman içinde, Yasemin’in ailesi de İzmir’de aynı mahalleye yerleşmiş. Babasının imamlığı civardaki Türkler tarafından hemencecik kabul görmüş. Ve Yasemin’in babası çok kısa sürede, şimdilerde yıkılmaya yüz tutmuş, İzmir’in sırtlarındaki güzel kürt mahallesi Kadifekale’de yaşayan Mardinliler arasında sevilen bir insan olmuş.
Yasemin kocasının ölümünden sonra, açık öğretime kayıt yaptırıp, liseyi bitirir. Ve özellikle anadilini tekrar öğrenmeye karar verir. Halihazırda, pencereleri İzmir’deki Bizans Algorasına bakan Kurdi-Der’de kürtçe dersler vermektedir. Yasemin çocukluğunda büyük bir ilgi ile amcasından dinlediği efsaneleri Kürtçe kayıt altına alıyor. « Bütün kuzenlerim içinde, bu masal ve efsaneleri en iyi hatırlayan benim. » Fakat, aile bireylerinin bir araya geldiği öğle sonrası çay partilerinde, herkes aklında kalan detayları Yasemin’e aktarıyor. Bu toplantılarda, genellikle kürtçe konuşulmaya gayret ediliyor. Yasemin ile aynı apartmanın üst katında oturan ve yaşamının son demlerini yaşayan kayınvalidesi de, hatırladığı kadarı ile Yasemin’e yardımcı olmaya çalışıyor ve hatırladığı şeyleri gelini ile paylaşmaktan büyük bir keyif alıyor.
Yasemin efsanelerini geceleri yazıyor. Gündüzleri ise, Türkiye’deki diğer (genç) büyükanneler gibi, kendi torunları ile ilgileniyor. Yasemin’in iki gelini de maaşlı çalışıyor ancak Türkiye’de kreşler çok pahalı. Hafta sonları, gelinleri kendi çocukları ile ilgilendikleri için Yasemin, şehir merkezine gidip Kürtçe kurs verebiliyor. Efsanelerini yazması içinse, sadece dingin geceler kalıyor Yasemin’e. Uzun efsanleri yazmak için, Yasemin saatlerce bilgisayar başında kalıyor. Yazarak, sonra tekrar tekrar kırparak veya küçücük bir detay veya kelime ekleyerek… Bu yükü, email yolu ile kendisinin kürtçe hocası ile de paylaşıyor.
Ağustos’un sonunda kendisi ile vedalaştığımda, Yasemin düzeltmelerini yeni bitirmişti. Ancak, bir kaç gerekli düzeltme daha yapmayı tasarlıyordu. Her zamanki gibi büyük bir ehemmiyetle… Ve nihayet, Kasım ayının sonunda, Kürtçe hocası Yasemin’e yazdıklarının mükkemmel olduğunu beyan ettikten sonra, Yasemin taslağını Avesta yayınlarına yolladı.
Avesta Yayınevi, Yasemin’e yazdıklarının yayınlanacağına dair daha önce söz vermiş olmasına rağmen, Yasemin onlara taslağını en kusursuz şekilde göndermek istiyordu. Kendi çocukluğunu şenlendiren hikayeleri, Tatvan yöresinin kürtçesi ile yazarak hem anadiline olan aşkını anlatmak, hem de bu hikayeleri sonraki kuşaklara aktarmak istiyor Yasemin. « Ben yazmayı tercih ettim , çünkü yaptığım şey kalıcı olacak bir şey. Hem ben bunları yazmasam, kim yazacak ki ? » Yasemin öyle bir aşkla bahsediyor ki yaptigi isten, yazma serüveninin bu kitabın yayınlanmasından sonra da devam edeceğini düşünüyorum.
Version française : A Izmir, Yasemin écrit avec passion les légendes kurdes de Tatvan (village de Çorsin)
Mille fois merci à Yilmaz Ö. pour la traduction.
Le 73 ème massacre de Yézidis: le rapt des femmes et le déni du chercheur français.
Peu nombreux étaient ceux qui avaient déjà entendu parler de Yézidis, quand j’écrivais un billet, le 16 juin dernier, sur ceux qui à Sinjar accueillaient les Turkmènes chiites fuyant l’avancée de l’Etat islamique à Tal Afar. Et il avait fallu l’exode à leur tour des Chrétiens qui vivaient dans les villes de Ninive quelques jours après sa terrifiante entrée le 3 août dans Sinjar, pour que la tragédie des Yézidis mourant de soif dans la montagne où ils avaient cherché refuge, surgisse dans la conscience mondiale qui découvrait cette minorité religieuse que les fanatiques islamiques exècrent.
Je conseille à nouveau cet article d’Allan Kerval, sur le site de Religioscopie, à ceux qui souhaitent en savoir davantage sur les Yézidis.
Ces tragédies humaines – ainsi (surtout?) que la dangereuse menace sur le Kurdistan irakien pro occidental et les champs de pétrole – ont décidé les États-Unis et plusieurs pays occidentaux à soutenir les Kurdes,sans plus attendre que l’Irak se dote d’un gouvernement. L’EI, qui paraissait attaquer partout à la fois, venait aussi de prendre plusieurs villes à la lisière des limites administratives du KRG. La capacité de riposte des peshmergas, parfois un peu trop présentés comme des « guerriers invisibles » montrait aussi ses limites.
A Sinjar, comme dans les villes chrétiennes, ils se sont enfuis en abandonnant les populations qui se pensaient protégées. Quelles que soient les raisons de ces replis, c’est ce qui s’est passé.

La bataille pour la reconquête du Sinjar se poursuit. 5000 Yézidis des YPU (Unités de Protection Yézidies) participent aux combats contre les islamistes sous le commandement de Qasim Shesho. Ce cadre yézidi du KDP est devenu un héros depuis sa résistance de la première heure avec 500 hommes contre l’EI. 2500 recrues ont été entraînés par les YPG (Kurdes de Syrie). 2000 autres, doivent arriver de Dohouk. Une trentaine de Turkmènes (shiites) auraient rejoint ses hommes.
La ville de Sinjar est toujours entre les mains de l’EI. Il ne doit plus y résider que ses habitants sunnites, et peut-être quelques familles yézidies terrées. Difficile de savoir combien de personnes sont encore prises au piège sur des flancs de la montagne moins accessibles ou dans des villages encerclés.

Dans le chaos qui règne, il est trop tôt pour tirer un bilan. Mais les témoignages sont accablants. Dans la montagne, beaucoup ont péri à cause du manque d’eau conjugué à une chaleur écrasante, surtout des enfants en bas âge, des personnes âgées et des femmes sur le point d’accoucher. Des rapports de massacres sont récurrents, surtout d’hommes et de très jeunes garçons.

Pour ceux ont trouvé un refuge, le plus souvent très aléatoire, c’est souvent l’angoisse pour des proches dont ils sont sans nouvelles. Ezidî press rapportait le témoignage d’un père dont la petite fille de 4 ans est tombée de la camionnette qui fonçait pour échapper aux tirs de l’EI. Le conducteur ne s’en était sans doute pas aperçu. Et si c’est le cas, pouvait-il prendre le risque que tous ses passagers soient massacrés? On rapporte qu’on étouffait parfois des bébés dans les grottes où comme les Yézidis à Sinjar, les Alévis de Dersim s’étaient réfugiés en 1938. Par crainte que leurs pleurs n’alertent les soldats turcs.
La liste des sanctuaires détruits vient de s’allonger avec celui de Sheikh Mend à Jedale. D’autres sont menacés. On parle aussi de conversions forcées. Dans le village de Kocho, 80 hommes et très jeunes garçons ont été massacrés pour l’avoir refusé, tandis que les femmes et les jeunes enfants, desquels les jeunes filles avaient été séparées, étaient enlevées. Quelques jours plus tard la propagande de l’EI diffusait une vidéo mettant en scène une conversion collective, et comme prévu des comptes Twitter et même quelques (rares) médias participaient à cette opération en la diffusant, sans daigner prendre la moindre précaution.
J’ignore si les hommes que montrent ces images sont yézidis, mais rien ne le prouve tant qu’ils n’ont pas été reconnus par des proches. Et je suis certaine que tous ne le sont pas. Un type au centre de l’assemblée montre beaucoup trop d’enthousiasme. Des centaines de Yézidis ont préféré choisir la mort. Pour peu que ces « convertis » le soit aussi, c’est que ces hommes y auraient été contraints par pire que la mort, sans doute pour sauver leurs familles, et notamment leurs filles dont ils connaissaient le destin promis après le rapt de Kocho.
Beaucoup de ceux qui ont balancé avec une telle désinvolture ces images de tortures collectives auraient certainement fait preuve de plus de respect pour ces convertis de force s’ils avaient été musulmans, chrétiens, juifs ou bouddhistes, au lieu d’appartenir à une religion minoritaire.
Certains comparent ce qui est devenu le 73 ème massacre de Yézidis, au terrible massacre de 1892, le plus traumatisant de tous. Cette année là, Omar Wahbi le pacha ottoman de Mossoul ne s’était pas contenté de massacrer ceux qui vivaient sous sa juridiction, ni d’assassiner leur Mîr (leur plus haute autorité), comme cela était déjà arrivé. Il avait réussi à contraindre celui-ci à se convertir à l’Islam. Le temple sacré de Lalesh, la Jérusalem des Yézidis avait alors été transformé en école coranique. Il le restera pendant 12 ans. Les protestations des Chrétiens et des ambassades occidentales avaient été telles, que le pacha Omar Wahbi avait du être rappeler à Istanbul. Il n’est cependant pas parvenu à faire disparaître le yézidisme de la terre et une vingtaine d’années plus tard, le chef de clan Hamo Sharo protégera des milliers de Chrétiens des massacres. En ce moment, des membres de sa famille participent aux combats contre l’EI à Jedale.

Au temple de Lalesh où je m’étais rendue il y a exactement dix ans,en août 2004, pour de grandes festivités, des Chrétiens de Dohouk participaient aussi aux jeux rituels yézidis, rangeant la croix qu’ils portent au cou sous leur chemise lorsqu’ils entraient dans l’enceinte du temple en enjambant la marche, qui ne doit pas être touchée. Un peu plus loin, j’avais été intriguée par une médaille en or de la Vierge que portait au cou la jeune (et très jolie) gelin (belle-fille) d’une famille que nous avions rencontrée avec Olivier, le photographe que j’avais accompagné à Lalesh. Je m’en étais ouverte ensuite au Mîr Ghamuran – en réalité le frère du Mîr Tahseen Said Beg qui vit en Allemagne, mais c’est ainsi qu’on me l’avait présenté. Il m’avait assurée que ce n’était pas un simple bijou en or et que la jeune femme savait très bien qui était Marie.
Il est vrai que Myriam dont il est question dans une sourate est aussi implorée par des femmes musulmanes qui souhaitent un enfant. Et c’est aussi à tout ce qui unit les populations à travers ces croyances partagées que les fanatiques de l’EI s’en prennent pour construire « leur monde nouveau ».
Je crois n’avoir jamais vu une aussi belle petite fille que la presque adolescente de cette famille. Ses yeux verts et son port de tête étaient extraordinaires. Elle doit être devenue une femme superbe. Ils venaient de Sinjar. Où sont-ils maintenant ? Et toutes les femmes qui m’avaient littéralement happée et conduite de maisonnette en maisonnette, pendant que le géant garde du corps du Mir qui était chargé de me servir de guide se brûlait les pieds sur les pavés brûlants (où l’on marche déchaussé) en tentant de ne pas me perdre de vue. Ce à quoi il n’était pas parvenu. Je l’ai semé. Et pour revenir, je portais des telik, chaussons en plastique, qu’une femme m’avait offerts pour m’éviter le même désagrément.

Les journalistes qui se rendent à Lalesh en Août 2014 n’y ont certainement pas entendu retentir les mêmes éclats de rire dans les petites maisons qui doivent être pleines des réfugiés aujourd’hui.
Si leur estimation n’est pas définitive, plus d’un millier de femmes yézidies (et des Turkmènes) ont été enlevées à Sinjar, selon Hoshyar Zebari, ministre des Affaires étrangères du gouvernement irakien, rapporte le Washington Post Une estimation que réfute le chercheur Romain Caillet, quelques jours après l’enlèvement des femmes de Kocho (dont il est un peu obligé d’admettre la réalité). Pour lui « il s’agirait en réalité d’une centaine d’otages, qui seront sans doute utilisées en tant que boucliers humains ou monnaie d’échange plutôt que comme des « esclaves sexuelles »
« Il va sans dire que si l’EI (..) avait réellement rétabli l’esclavage, cela aurait forcément été annoncé publiquement et justifié par une fatwa » apporte-t-il comme argument irréfutable.
Il aurait été déjà un peu plus convaincant, s‘il nous avait appris qu’une fatwa venait d’interdire publiquement la prostitution, qui n’a pas attendu d’être autorisée par une fatwa pour exister. Et s’il ne le dit pas, c’est qu’il n’y en a certainement pas eu. Elle fait rage à Bagdad avec ses 1 million de veuves selon des copains kurdes qui y ont bossé sur des chantiers. Et combien de ravissantes adolescentes (irakiennes et maintenant syriennes) ont été « mariées » dans les pays du Golfe ?

Les jeunes filles enlevées ne seraient peut-être pas promises à la prostitution. En tout cas pas toutes. Certaines ont pu communiquer avec leurs familles quand leurs téléphones portables fonctionnaient encore – et par ceux peut-être de quelques geôliers. Et à Erbil on doit continuer à savoir plus ou moins ce qui se passe à Mossoul où plusieurs centaines de femmes auraient été détenues dans une prison selon plusieurs sources. Le mariage forcé après leur conversion serait le sort de jeunes filles. En attendant le paradis promis, fournir une épouse, souvent très jolie (beaucoup de blondes et des yeux clairs magnifiques parmi les Yézidies) et pour laquelle il est inutile de payer une dot (baslik) cause d’endettement de beaucoup de familles, serait une assez bonne façon pour l’EI de s’assurer la fidélité de nouvelles recrues des quartiers déshérités de la ville. Être contraint de repousser l’âge de « chercher sa femme » faute d’économies suffisantes, n’est quand-même pas propre qu’aux jeunes célibataires démunis de Mossoul.
Des paysans de villages sunnites voisins ont pu profiter eux aussi de leur nouveau statut de « vrais soldats de dieu », pour se fournir en belles fiancées sans dot. Et peut-être qu’un rapt de la fiancée (kizkaçirma) collectif était planifié.
Des jeunes filles auraient été envoyées en Syrie selon l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme (SOHR). L’ONG affirme avoir recensé 27 cas de mariages forcés avérés avec des combattants de l’État islamique après conversion de la fiancée yézidie. Le « prix de la fiancée » se serait élevée à 1000 $ pour le « prix de la fiancée », beaucoup moins qu’une dot (baslik) classique, si cette information est confirmée
Mais le mariage forcé serait le sort destiné aux vierges. Du moins à une partie d’entre elles, des cas avérés de viols de jeunes filles (parfois) camouflés sous des mariages temporaires sont rapportés qui pourraient avoir été monnaie courante. Une femme déjà mariée, aussi belle et jeune soit-elle, ne pourra être proposée qu’à un veuf ou comme seconde épouse. Et elles sont peut-être encore davantage menacées de viol durant leur séquestration. Peut-être ont-elle aussi été enlevées pour servir de monnaie d’échange avec leurs enfants, mais j’en doute beaucoup.
Un article de Basnew rapporte qu’à Erbil des personnes fortunées ont tenté de racheter des femmes séquestrées dans un hôtel de Mossoul. Des notables arabes auraient fait de même. Le tarif modeste (120 $ ) pour se procurer une femme, s’il est avéré, pourrait être une somme symbolique, ou celui de « mariages temporaires »(c’est à dire de prostitution déguisée).
Ces enlèvements de femmes qu’Allan Kaval qualifie de massifs rappellent les viols de femmes bosniaques par des soldats serbes comme instrument d’épuration ethnique. Dans ces sociétés où honneur et réputation des femmes sont des valeurs importantes, ces enlèvements ont le but de les salir .L‘ONU estime à 2500 les enlèvements à Sinjar, surtout de femmes et d’enfants. Bien plus que la centaine admise par un chercheur qui n’a jamais du mettre les pieds à Sinjar. Des enlèvements de femmes Turkmènes, Shabaks et Chrétiennes sont aussi rapportés
Les familles ignorent le plus souvent le sort réservé à ces femmes, qui n’est sans doute pas uniforme. Et l’État islamique ne communique pas sur le sujet- il préfère peut-être la réputation de coupeur de tête impitoyable à celle peu glorieuse de violeur et proxénète. Ce n’est pas le genre non plus à balancer des vidéos de jolies visages de fiancées. Ce n’est pas pour autant que les multiples témoignages d’enlèvements doivent être pris à la légère.
De toute évidence le sort de ces femmes yézidies n’intéresse pas beaucoup Romain Caillet (qui n’est sans doute pas un farouche sympathisant de l’Etat islamique, je le rappelle pour ceux qui ne le connaîtrait pas). Et je soupçonne le chercheur du même « désintérêt » pour le sujet, quand il affirme dans le même article que « dans la ville de Raqqa, (les Chrétiens) qui sont restés ont accepté le statut de dhimmi-s (littéralement « protégés »), impliquant le payement d’une taxe spéciale (al-Jiziya) ». Un statut qui « n’a pas été accepté par les chrétiens de Mossoul qui ont préféré quitter la ville plutôt que de devenir les « protégés » de l’EI. » ajoute-il. En oubliant juste de préciser que si les autorités religieuses chrétiennes de Mossoul ont refusé de discuter avec l’État islamique, c’est probablement car ils n’avaient pas eu besoin qu’une célèbre vidéo de Vice-News le leur apprenne, eux, pour savoir que les Chrétiens de Raqqa avaient ensuite quitté la ville malgré ce statut de « protégés » qu’ils avaient accepté. Et même depuis, même moi je l’ai vu cette vidéo.
Le 4 septembre : voir sur le sujet le rapport qu’Amnesty International vient de publier.
Mahsum Korkmaz, Atatürk et les « terroristes » PKK qui combattent l’Etat islamique en Irak et en Syrie.
Mahsum Korkmaz est depuis longtemps un héros pour des millions de Kurdes. Pas seulement pour les sympathisants apocus (pro PKK). J’ai même rencontré des responsables du PDK (le parti de Barzani), peu suspects de grande sympathie pour le PKK, qui ne cachaient pas leur admiration pour ses guérillas. Évidemment, le premier commandant du PKK, tué en 1986, à 30 ans, lors d’ un clash avec l’armée turque dans les Monts Gabar est vénéré par ses sympathisants. Il est le modèle à suivre pour tous ceux qui rejoignent « la montagne ».
Et ce sont des milliers de volontaires qui viennent de rejoindre les YPG ou HPG / PKK pour aller prêter main forte à leurs frères kurdes de Syrie et d’Irak et bloquer les avancées de l’État islamique dont plus personne n’ignore la folie destructrice. Un mouvement qui s’est amplifié depuis l’appel d’Öcalan, en juin dernier. Des dizaines de milliers d’autres sont prêts à en faire autant.
Je prédisais dans un précédent billet que les jihadistes ne tiendraient pas longtemps Makhmour, au Kurdistan irakien. En effet, une opération conjointe des peshmergas et du PKK assisté de volontaires du camp de réfugiés (pro PKK), soutenue par l’aviation américaine les en a chassés. Après la rapide reprise du poste frontière de Rabia par les YPG ( PKK syriens), c’était le premier gros revers subi par l’armée de fanatiques islamiques depuis qu’elle avait lancé sa grande offensive contre le Kurdistan irakien, début Août.
En menaçant Makhmour, l’État islamique commençait à dangereusement se rapprocher d’Erbil, de sa population et de ses innombrables réfugiés. Il commençait aussi à sérieusement menacer les intérêts de pays occidentaux et de la Turquie, qui se comptent en milliards en $. Même si Erbil était certainement mieux protégé que Sinjar , la menace que cette avancée de l’État islamique jusqu’à Makhmour représentait (ainsi que la tragédie des Yézidis dans la montagne de Sinjar ) a même décidé les États-Unis à intervenir dans le conflit et des pays européens comme la France à envoyer d’urgence des armes sophistiquées aux Kurdes du KRG.
Espérons que les richissimes compagnies pétrolières qui ont signé de très avantageux contrats avec le KRG, mettront la main à la poche quand il faudra régler l’addition (ce ne doit pas être donné un tel armement). En attendant, il faut aussi espérer que Total ou Exxon Mobil ont fait des dons dignes de leurs bénéfices annuels au HCR et aux organisations humanitaires débordés par l’afflux de réfugiés.

Cette victoire et cette collaboration entre forces kurdes a été si importante que Massoud Barzani a rendu une visite tout à fait publique aux commandants PKK venus à la rescousse des peshmergas qui là aussi y étaient en difficulté.

Avec celui d’Öcalan, que ses sympathisants peuvent maintenant brandir à visage découvert en Turquie, le portrait du premier commandant de la guérilla, Mahsum Korkmaz, est affiché dans tous les meetings, commémorations (comme les grandes funérailles de sehit) ou fêtes de Newroz.
Et alors que le PKK et les autorités turques sont engagés dans un processus de paix qui pour le moment consiste surtout en un cessez le feu pour la première fois bilatéral entre PKK et armée turque, le Parti ( kurde) , qui recueille 92% des voix à Lice, a franchi un nouveau pas. Pour célébrer le 30 ème anniversaire du déclenchement, de la dernière insurrection kurde le 15 août 1984, il a érigé une statue de Mahsum Korkmaz. Pas sur la place principale de la petite ville. C’est dans le cimetière où reposent leurs sehit (combattants tombés au combat) qu’elle a été dressée. Un lieu où une statue présente peu de risque de heurter quelque sensibilité moins sympathisante ( pour peu déjà qu’un promeneur égaré sache qui est Mahsum Korkmaz) . Et les forces de l’ordre omniprésentes depuis des décennies dans cette province ne doivent pas souvent aller s’y recueillir.
Certes le Parti n’y est pas allé de main morte. La statue paraît imposante. Mais pas plus que celle d’Atatürk qui se dresse à Lice (à côté de l’école primaire Atatürk!) comme dans toutes les villes et bourgs de Turquie, au Kurdistan encore plus qu’ailleurs. Seulement, très souvent les Kurdes détestent le fondateur de la Turquie moderne, qu’ils soient sympathisants BDP ou AKP. C »est encore plus vrai dans le district de Lice, où lors d’une réunion secrète à laquelle Mahsum Korkmaz participait, le PKK avait été fondé en 1977. C’était aussi de Lice qu’était partie la première insurrection kurde conduite par Cheikh Said en 1925.
Cheikh Said avait été pendu pour l’exemple à Diyarbakir, en même temps que 46 chefs qui avaient rejoint la révolte. Et la main de bronze de la répression s’était abattue sur les provinces rebelles. Dans les années 90, Lice a de nouveau payé cher d’avoir été le berceau d’une nouvelle insurrection armée. Le district a été littéralement vidé de sa population. En 1993, comme Sirnak quelques mois plus tôt, la ville de Lice était bombardée, au moins 16 civils avaient été tués, des centaines de commerces et d’habitations détruits et des milliers de personnes contraintes à l’exode . Pas plus les habitants qui y sont restés que ceux (beaucoup plus nombreux) qui en ont été chassés, ne sont devenus kémalistes, même modérés, par la suite.
Le député CHP Sezgin Tanrikulu, qui est originaire de Lice, ne doit pas être un inconditionnel du fondateur de son parti.
En février dernier le procès du général Bahtiyar Aydın, responsable du bombardement de Lice était délocalisé à Izmir d’ où il a été interrompu. Une façon discrète de lui fiche la paix. Presque au même moment, en mai dernier, le général de gendarmerie Musa Citil accusé du meurtre de 13 villageois à Derik (Mardin) entre 1992 et 1993, était acquitté par un tribunal de…Corum (dans l’ouest de la « Turquie nouvelle » dont la justice ne se distingue pas vraiment de l’ancienne ).

La justice a été bien plus vigilante pour juger l’effigie d’un commandant PKK, mort depuis près de 30 ans. C’est vrai que le symbole est fort. Et peut-être craignait-elle que l’exemple de Lice fasse des émules et que la statue finisse par sortir des cimetières pour aller faire de l’ombre à celle du « père des Turcs » . Un risque peu probable : le seul à être de taille à concurrencer le fondateur de la nation sur la place du village kurde, c’est Öcalan, celui qu’Ahmet Altan avait surnommé « Atakurde »- ce qui lui avait valu un procès et de perdre pour un temps son emploi de journaliste. Et en cette période où devraient débuter des négociations difficiles, ça m’étonnerait que le prisonnier d’Imrali autorise ce genre de démonstration de dévotion. Mais 3 jours après son inauguration, un tribunal ordonnait la destruction de la statue « terrorist »

L’armée (dont on comprend qu’elle ne partage pas la vénération pour le premier commandant PKK à avoir tiré sur ses soldats) a diligenté une opération sur le champ, alors que des militants déterminés à l’en empêcher l’attendaient – il était 6 heures du matin ! Résultat 1 tué de plus à Lice, où ça commence à faire pas mal de civils tués en un an, et plusieurs blessés.

Des villes kurdes se sont embrasées où, sacrilège suprême, des manifestants se sont vengés sur la statue d’Atatürk. Rien de bien nouveau en fait. A Hakkari elle a déjà stoïquement résisté à de nombreux assauts de pierres et de cocktails molotov, sans parler des gaz lacrymogènes et des jets de flotte qui ne l’ont pas épargnée. Mais cette fois des médias l’ont remarqué, d’autant qu’à Lice , quelques uns des bustes d ‘Atatürk qui trône dans toutes les écoles ont été à leur tour fichus à terre.
Si des voix scandalisées s’élèvent, pas de quoi cependant provoquer une vague de poussée nationaliste à l’Ouest du pays. En 2006, il avait suffi qu’un petit kurde d’Hakkari mette le feu à un drapeau turc devant des caméras de TV à Mersin (sans doute que l’idée lui avait été soufflée), pour que les fenêtres des villes de l’ouest du pays se couvrent de drapeaux turcs. Une mobilisation générale pour la patrie en danger qui n’avait sans doute pas été complètement spontanée.
Apparemment, personne n’est trop désireux cette fois de provoquer des tensions qui pourraient mal tourner, au sein de la population Ce n’est pas trop le moment. Et puis qui en profiterait, maintenant que les élections sont passées ?
Avec la fin des combats entre soldats et PKK, les Turcs sont peut-être un peu plus enclins aussi à admettre qu’au sein d’un même pays, plusieurs récits historiques antagonistes peuvent s’entrechoquer. Cela fait plus d’un an maintenant qu’Öcalan, la figure du Mal absolu depuis plusieurs décennies, est devenu l’interlocuteur de l’État turc, et l’opinion (du moins une partie d’entre elle) apprécie surtout de pouvoir croire enfin que la paix est durable .
Quant à Atatürk, malgré son omniprésence dans les manuels scolaires qui perdure (en attendant peut-être d’y être remplacé par un autre Grand Homme, comme pour les noms d’aéroports) , il est en train de perdre son statut d’idole, sans doute pour trouver la place dévolue à tout grand personnage historique, à l’instar d’un Napoléon ou d’un de Gaulle que tout le monde n’est pas sommé de vénérer. On a le droit de les exécrer et même d’être injuste avec eux, si on veut.
Surtout depuis la prise de Mossoul le 10 juin par l’État islamique et la prise en otage des membres du personnel du Consulat turc, de leurs familles et des membres des forces spéciales chargées de les protéger, auxquels il avait été courageusement prié de rester sur place (je ne sais pas pour quoi faire), il y a sans doute pas mal de gens en Turquie qui considèrent que le danger aujourd’hui s’appelle plutôt « Califat ».
Avec 49 otages entre les mains de dangereux fanatiques qui utilisent leurs exactions les plus monstrueuses comme une arme de guerre, les centaines de kilomètres de frontière partagée avec le « Califat nouveau » et les cellules dormantes qui doivent se trouver sur leur propre territoire (sans doute pour la plupart connues et surveillées, mais cela n’empêche jamais le danger) et dont certaines n’ont pas hésité dernièrement à lancer un appel public au jihad en plein Istanbul – on comprend assez que les autorités aient préféré ne pas voir leurs forces spéciales, présentes depuis des années pourtant de l’autre côté de la frontière, s’afficher aux côtés des peshmergas de leur « ami » Massoud Barzani.
Elles ne sont même pas intervenues pour porter secours aux « frères » Turkmènes dont la défense était une cause nationale en 2003 en Turquie, quand on les prétendait menacés par les Kurdes. Les malheureux Turkmènes de Ninive, honnis par les fanatiques de l’État islamique car ils sont chiites, ont du fuir leurs villes et villages pour éviter d’être massacrés, et certains malheureusement l’ont été. Et la Turquie est restée jusqu’ici indifférente au sort des 15 000 Turkmènes d’Amerli, assiégés depuis 2 mois par des partisans de l’ EI. Son seul soutien est une aide humanitaire massive aux réfugiés turkmènes et yézidis auxquels elle construit aussi des camps au Kurdistan irakien, espérant éviter qu’un flot de réfugiés ne viennent s’ajouter aux 1.5 million de réfugiés syriens sur son territoire. Enfin, construirait, certains médias d’opposition mettent même en cause la véracité de camps financés par la Turquie (mais je me méfie aussi des médias d’opposition)
La Turquie aurait peut-être préféré envoyer ses commandos et ses F16 dans son ancienne province de Mossoul. Mais les seules troupes venues de Turquie pour combattre les barbus du « calife », ce sont les YPG et HPG/ PKK qui le combattent sur deux fronts : en Irak et en Syrie .
Et à Rojava (Kurdistan syrien) , c’est sans le soutien d’aucune aviation, qu’ils sen chargent avec les YPG qu’ils ont formé. Au sein des forces kurdes, ces troupes « terroristes » rappellent un peu ce qu’est la Légion Étrangère à l’armée française, pour la qualité de ses combattants, ou pour leur recrutement international (sauf qu’en l’occurrence il est plutôt transnational). A ceci près qu’ils ne touchent aucune solde (Exxon Mobil et Total pourraient peut-être avoir aussi un geste pour leurs familles). Ce n’est pas le cas de ceux qui se prennent pour des « soldats d’Allah », qui doivent aussi bénéficier de multiples avantages avec tous les biens abandonnés de force par les populations qui ont fui.
La Turquie n’a pas envoyé ses troupes d’élite défendre la zone tampon du Kurdistan irakien (et ses intérêts financiers). dans cette bataille pour le Kurdistan irakien,Par contre le PKK est devenu un allié sur lequel on peut compter. Outre les Yézidis de Sinjar , le monde entier l’a remarqué. C’est quand-même ce qui devrait être relevé pour ce trentième anniversaire de l’insurrection.

Pendant que les « terorist« du PKK se battent contre l’Etat islamique et protègent les (gros) intérêts de la Turquie au Kurdistan irakien avec les autres combattants kurdes, à Lice l’armée turque s’affaire à déboulonner une statue. Un civil de 24 ans, Mehdi Taşkın est tué, qui sans doute rêvait (et peut-être envisageait) de franchir la frontière à son tour pour aller combattre l’État Islamique. L’opinion publique turque, quant à elle, ne semble pas prendre cette dangereuse opération militaire pour une action particulièrement héroïque : les drapeaux turcs n’ont pas surgi aux fenêtres pour célébrer la nation sauvée.
Pour aller plus loin : un article de Fehmin Tastekin, qui relève que les 3 jours qui se sont écoulés entre l’inauguration de la statue et sa destruction aurait pu être utilisés par les autorités (gouverneur) pour tenter de trouver un compromis avec Lice.
.. Dommage de ne pas avoir tenté de sauver des vies (un soldat a aussi succombé des suites de blessures), même si les 2 parties sont plus habituées aux rapports de force et que cela n’aurait pas été gagné d’avance… au lieu de se contenter de crier à la provocation de tous les côtés.
Selahattin Demirtas : nouveau leader de la gauche en Turquie et « super leader » des Kurdes
Comme le soulignent des analystes turcs comme Nilüfer Göle ou Samim Akgönül , si Tayyip Erdogan a été élu au premier tour à la présidentielle, l’autre vainqueur de cette élection est bien Selahattin Demirtas (HDP) qui avec très peu de moyens a réussi à convaincre 10 % des électeurs. Un bond de 50% par rapport aux suffrages que récoltait son parti le HDP/BDP aux élections provinciales du 30 mars dernier.
Melda Onur, députée CHP d‘Eskisehir, vient de le qualifier de nouveau leader de la gauche. Et il est vrai que celui qui se présentait comme le candidat de « tous les opprimés » pas seulement celui des Kurdes et des minorités sympathisants du BDP, a su séduire bien au-delà de l’électorat traditionnel du parti kurde. Il a même obtenu 14 % des suffrages dans les îles d’Istanbul ( pour 9.2 et 220 000 voix supplémentaires dans l’ensemble de la mégapole ) où on n’a pas l’air d’être des fervents de Recep Tayyip Erdogan ( 28% des voix). En 2011 le BDP n’y obtenait que 5.3. Et je ne pense pas que les îles aient accueilli une importante vague migratoire kurde depuis.
Une part des 1 million de voix supplémentaires par rapport au 30 mars (4 millions/3 millions) est certainement à attribuer aux Turcs de gauche, qui pour la première fois ont voté pour un candidat kurde HDP/BDP. Un phénomène qui ne fait que se confirmer d’ailleurs. En 2011 déjà des électeurs turcs de gauche désespérés par le CHP ou déçus par l’AKP que certains avaient rallié en 2007 (et sans doute une bonne part de la minorité chrétienne) avaient déjà choisi de voter BDP. Dans les villes de l’ouest du pays, les relations entre associations kurdes du réseau BDP et les autres acteurs de la société civile, et surtout la candidature à Istanbul du très populaire Sirri Sürreyya Önder y avaient largement contribué (il fallait quand même qu’il y ait un Turc dans cette histoire d’amour – dirait un copain kurde qui naturellement exagère… )
Mais quelle part représentent-ils vraiment dans cette progression impressionnante, surtout en un laps de temps si court ( 5 mois) ? C’est en effet dans les villes de l’Ouest et de la Méditerranée, plus à gauche, certes, mais surtout où les Kurdes sont nombreux à vivre, qu’il vient de faire les percées les plus significatives, comme à Istanbul, Mersin, Adana, Izmir et je n’oublie pas cette fois Gaziantep. Le parti kurde (HDP) y est implanté de longue date, mais avait du mal à s’imposer face aux puissants réseaux AKP. Le vote kurde n’y explique certainement pas à lui seul le score que Demirtas y obtient (et qui sauf à Adana et Antep n’y atteint pas 10%) Mais il est probable quand-même, que comme à Mus (province qui en mars dernier encore élisait un maire AKP et a voté cette fois à 62 % Demirtas), de nombreux électeurs kurdes de l’AKP – et du CHP pour les Kurdes alévis – y aient choisi cette fois de donner leur voix à Selahattin Demirtas.
La province de gauche Eskisehir quant à elle n’a pas beaucoup contribué à l’émergence du nouveau leader de gauche : seuls 2.5% des électeurs y ont voté Demirtas Peut-être par fidélité à son maire, que les militants du CHP avait plébiscité pour être leur candidat à la présidentielle…Mais il est probable aussi que le profil du candidat de la gauche n’y ait pas trop plu.
Hopa sur la Mer Noire, d’où était originaire le chanteur laze Kazim Koyuncu continue à résister au César de Kasimpasa. Elle a donné 4.5% de ses voix au candidat kurde. Une véritable anomalie dans cette région où Recep Tayyip Erdogan (Rizeli de Kasimpasa) est plébiscité : 80% des voix à Rize ou à Bayburt où seuls… 0.75% des électeurs ont voté pour ce PKK de Selahattin Demirtas.

Mais c’est surtout dans les 11 provinces kurdes déjà acquises au BDP ( pour 10 d’entre elles), qu’il a fait exploser les scores déjà très honorables que son parti y avait obtenu en mars dernier. Dans 7 provinces, il obtient plus de 60 % des voix, confirmant que le parti kurde est le principal bénéficiaire du processus de paix. Celui-ci a contribué à une « réconciliation » entre Kurdes, qui avaient été déchirés par des années de sale guerre. Un phénomène qui était déjà bien entamé, mais que cessez le feu et promesse de paix ont accéléré. Une « réconciliation » déjà réalisée à Yüksekova où cela fait belle lurette que même les villages korucu (gardiens de villages utilisés comme supplétifs par l’armée) votent massivement pour le parti kurde. Ou à Roboski ( Uludere ) où ils n’avaient pas attendu le massacre de 33 petits contrebandiers par les F16 de l’armée turque pour le faire.

En décembre dernier à Hakkari, la ville qui avait élu Selahattin Demirtas comme député en 2011, c’est la famille du longtemps indéboulonnable député CHP, DYP puis AKP Mustafa Zeydan (décédé il y a peu), et avec elle son asiret (clan) des Piynaşi, qui déclarait son ralliement au BDP dans une cérémonie solennelle à laquelle participaient les maires de toutes les communes de la province et assistaient des milliers de personnes. Le nouveau « chef » du clan y a souligné que c’est l’appel à faire la paix lancé par Abdullah Öcalan qui a motivé cette décision. Elle avait commencé par une cérémonie funéraire (mevlit) donnée en souvenir de 2 membres de la famille, tués dans le PKK. L’événement était d’une telle importance qu’il a donné lieu à 120 commentaires sur l‘article des Yüksekova Haber.
Cette » réconciliation » entre Kurdes, auquel « le Parti » a largement contribué (et bien sûr l’AKP, qui est parvenu à imposer un cessez le feu bilatéral à l’armée et à mettre Öcalan au centre du processus de paix) a permis au BDP de conquérir des places fortes AKP comme Mardin ou Agri. puis à Selahattin Demirtas de s’y imposer largement.
La guerre que les jihadistes font aux Kurdes d’Irak et de Syrie et à laquelle prennent part de nombreux combattants kurdes de Turquie et d’Iran ainsi que la tragédie des Chrétiens et surtout des Kurdes yézidis au Sinjar dont le sort est encore pire, vient encore de renforcer cette fraternité. A mon avis, la possibilité de maintenir ce bon résultat lors des prochains scrutin et, surtout de le faire progresser au-dessus de la barre des 10% (qui permettrait à l’HDP de se présenter en tant que parti et d’au moins tripler son nombre de députés) dépendra sans doute encore davantage de la façon dont évolueront les relations entre factions kurdes en Irak et en Syrie que de la gauche turque.
Les résultats du 10 Août montrent aussi que le parti kurde ne se limite plus à être « un parti régionaliste », comme le qualifiait à juste titre Jean François Pérouse il y a une dizaine d’années, dans un article d’une revue dont j’ai oublié le nom. Il devient un parti d’envergure nationale. Ou du moins de l’espace national où les Kurdes sont implantés depuis les grandes migrations des années 80-90. Il a fallu pour cela qu’il sorte d’abord de la semi clandestinité où les interdits successifs l’ont longtemps contraint à rester et qu’il soit intégré dans le jeu politique national.
C »est une réforme constitutionnelle de l’AKP, rendant plus ardue la dissolution d’un parti, qui l’a permis. Elle était surtout destinée il est vrai à défendre le parti gouvernemental après les menaces qu’avaient fait peser sur lui les attaques de la Cour Constitutionnelle en 2007 . Le parti kurde en a profité. Et les grandes rafles d’élus et de cadres BDP (ainsi que de nombreux syndicalistes trop souvent oubliés) destinées à le laminer,qui ont suivi deux ans plus tard n’ont réussi qu’à souder davantage son électorat. « Et à favoriser le renouvellement des cadres » ajoutait un ami kurde qui connait bien le sujet.
Le barrage de 10% qui avait été instauré pour empêcher le parti islamiste et surtout le parti kurde d’entrer au Parlement, n’a jamais été supprimé par contre. L’AKP espérait bien qu’aux élections de 2011 il constituerait aussi un barrage contre le MHP, ce qui lui aurait permis d’obtenir les 2/3 de députés nécessaires pour élaborer une nouvelle Constitution maison. Pari raté : le parti d’extrême droite avait obtenu plus de 10% des suffrages.
Les Kurdes de leur côté avaient renoncé à leurs alliances improductives (pour les uns comme les autres) avec des partis de la gauche turque et choisissaient de présenter des candidats indépendants. Il a fallu qu’ils apprennent à s’organiser et à discipliner leur électorat (et surtout leurs candidats, qui lors de la première expérience avaient parfois eu tendance à aller à « la pêche aux voix » dans le pré carré du voisin). Mais après un semi échec en 2007, 36 députés étaient élus à l’Assemblée de 2011. Le mouvement avait commencé à devenir celui des Kurdes, des minorités et de la gauche turque, en présentant quelques députés issus de mouvements kurdes non PKK, comme Şerafettin Elci ; de la gauche turque comme Ertuğrul Kürkçü et Sirri Surreyya Önder, ou Erol Dora, le premier député chrétien syriaque à siéger dans une Assemblée depuis la fondation de la République turque.
Des élus en prison préventive n’ont pas été autorisés à y siéger, et une condamnation opportune avait donné le siège remporté haut la main par Hatip Dicle à Diyarbakir à une députée AKP. Mais la voix du mouvement kurde pouvait commencer à se faire entendre à Ankara, au cœur de la République .
Au moins autant qu’une ouverture à la gauche turque, c’est ce double mouvement de réconciliation entre Kurdes et d’ouverture à l’espace national où les Kurdes sont implantés, qu’a sans doute su incarner et porter Selahattin Demirtas.
S’il est sans doute devenu le nouveau leader de la gauche en Turquie, ce qui reste à confirmer, il est en tout cas bien devenu le « super leader » des Kurdes (et des minorités).
J’ignore si c’était ou non le candidat favori de l’autre leader des Kurdes, Abdullah Öcalan ou si ce choix lui a été imposé par « le Parti » (et Qandil), où beaucoup craignaient que le HDP ne devienne un parti turco kurde (c’est à dire dominé par la gauche turque). Ce qui est certain c’est que le parti kurde, au sein duquel pendant longtemps la (très) stricte discipline de parti primait sur les individualités et où la seule personnalité autorisée à s’affirmer (à rayonner plutôt) était son fondateur Abdullah Öcalan, devient un parti moderne. Cette évolution est la conséquence logique de la sortie du parti kurde de la semi clandestinité.
Est-ce que « le patron des Kurdes », comme disait une gamine de Rennes, qui n’a pas de dauphin (et ni femme, ni neveu pour le seconder) acceptera ce partage de leadership ? Après tout la bi-présidence est devenue un mode de gouvernance au sein du BDP. D’ordinaire avec un(e) représentant(e) des deux sexes, mais il peut bien y avoir quelques entorses. (Possible par contre qu’il aurait préféré partager la tâche avec un(e) « moins kurde » que lui ).

Et au sein d’une génération, qui comme Selahattin Demirtas, était encore enfant lors du coup d’Etat de 1980 et à peine adolescent en 1984, d’autres personnalités fortes émergent et s’affirment à la tête de certaines grandes municipalités, comme Bekir Kaya à Van.
« Au BDP, on vote pour le parti, si le parti te présentait, tu serais élue » me disait une copine de Diyarbakir avant les élections du 30 Mars. A Hakkari, j’avais peut-être une petite chance d’être élue (ce sera peut-être différent aux prochaines municipales). Mais à Van, j’aurais sûrement fait les beaux jours du candidat AKP. Comme ça au moins la ville de Van est bien gérée.

Cette génération qui a commencé à militer en pleine guerre sale , est souvent plus méfiante vis à vis de la gauche turque. Non sans quelque raison. C’est tout juste si certains intellectuels de gauche turcs « pro kurdes » ne les qualifiaient pas de « vendus à l’ AKP » et de fossoyeurs de la démocratie, il y a quelques semaines encore.
Peu après la désignation de Demirtas comme candidat du HDP à la présidentielle, la journaliste turque « pro kurde » Nuray Mert le qualifiait de « candidat faible », qui selon elle aurait été imposé à Öcalan par l’AKP Elle ne dit pas si Riza Turmen (député CHP d’Izmir) était le « candidat fort » qu’Apo aurait préféré . Elle, c’est probable. Mais les Kurdes de Mus auraient certainement continué à voter Erdogan.