Après l’attaque très meurtrière du PKK (13 tués parmi les soldats) à Silvan , il fallait s’attendre à ce genre de débordements et de provocations. Depuis plusieurs nuits le quartier de Zeytinburnu à Istanbul est le théâtre de violences entre des groupes d’ülkücü ( ultra nationalistes ) turcs et sympathisants kurdes du BDP. Des violences qui n’ont rien de spontanées. Avant qu’elles n’explosent la fausse rumeur que des personnes du quartiers avaient été tuées (par des Kurdes) se propageaient par des E-mails envoyés sur des sites Web ou sur des comptes Facebook. Des groupes n’attendant que ce signal, armés de pioches, de bâtons et de drapeaux , s’en sont pris au bâtiment du BDP et à des commerces kurdes du quartier. Sans surprise, ils affichent le signe des Loups gris comme on peut le voir sur cette vidéo.
Depuis plusieurs nuits, des nationalistes turcs auxquels se seraient associés des Albanais, des Afghans et des Tatars, selon Hürriyet, s’y confrontent avec des gençler kurdes et les forces de police. Au moins 70 commerces ou logements ont été , vandalisés, la plupart appartenant à des Kurdes et plus de 130 automobiles endommagées. Cinq personnes ont été blessées et un garçon de 19 ans est dans un état critique.
Le maire de l’arrondissement de Zeytinburnu qui a aussi reçu un de ces e-mails a appelé la population à ne pas céder à la provocation. Et Sirri Süreyya Önder, le député du groupe BDP et un artiste très populaire en Turquie, a renoncé à un voyage à Van pour s’installer dans le quartier qui n’a sans doute pas été désigné par hasard par ceux qui voulaient qu’il s’enflamme. Dans cet arrondissement AKP, le MHP le parti d’extrême droite a eu un score (11.8) plus élevé que la moyenne du grand Istanbul (9.4 %) et surtout Sirri Süreyya Önder y a obtenu 8.3 % des voix aux élections du 12 juin. C’est l’arrondissement d’Istanbul où le BDP a eu son meilleur score.
Si ces heurts se répètent depuis plusieurs nuits, ils restent limités au quartier de Zeytinburnu. Ailleurs la population de la ville ne se laisse pas entrainer dans la violence inter-ethnique vers laquelle certains aimeraient bien la plonger. Même si les esprits peuvent être très remontés contre le PKK depuis l’attaque de Silvan, la société se méfie des provocations de l’extrême droite.
Il faut dire qu’on commence à y être habitué et même à s’y attendre. En tout cas ces provocations ne doivent étonner personne. C’est toujours le même modus vivendi. L’été dernier des rumeurs tout aussi provoquées avaient été à l’origine d’émeutes inter ethniques dans les petites villes de Dörtyol et d’Inegöl, dans un contexte similaire d’attaques du PKK.
Les 6 et 7 septembre 1955 déjà c’est une fausse rumeur savamment orchestrée, prétendant que la maison d’Atatürk avait été l’objet d’un attentat à Salonique ,qui avait provoqué deux jours de pogroms contre les Chrétiens (15 morts, plus de 4000 commerces détruits dont 60% étaient grecs etc..). La ville avait été la proie d’une folie furieuse qui avait eu pour conséquence la fuite d’une partie de la population chrétienne d’Istanbul, notamment grecque qui était la principale visée.
Je suis assez persuadée que la ville conserve le traumatisme de ces deux jours de violences ethniques et de la perte d’une partie de sa minorité chrétienne Ce n’est pas par hasard que ceux du public qui avaient empêché la chanteuse kurde Aynur de chanter à un concert, ont ensuite dansé sur les chansons grecques. Certains « vieux urbains » détestent les Kurdes (et la nouvelle bourgeoisie anatolienne) mais conservent la nostalgie d’une ville moins anatolienne et de ses commerçants grecs ou arméniens.
Aux élections l’extrême droite obtient des scores plus faibles que dans bien d’autres pays européens ( 13 %) Mais les Loups gris (ülkücü) restent toujours présents dans le paysage politique et sont très violents en Turquie Dans les années 70, ils se confrontaient aux groupes de militants d’extrême gauche, et ces mêmes groupes fomentaient les massacres d’Alévis de Malatya, Sivas ou Maras en 1978, qui avaient été suivis de l’instauration de l’Etat d’urgence, ou de Corum , 2 mois avant le Coup d’Etat.
Aujourd’hui le rituel reste le même, mais ce sont surtout avec les Kurdes proches du BDP qu’ils se confrontent et dans certaines universités de province cela dégénère assez régulièrement. Mais ça fait beaucoup de gens qui ne peuvent vraiment pas les voir. Et la population est quand-même mieux informée qu’en 1955, heureusement.
Et puis à force de se répéter ça devient trop prévisible. A chaque fois ce sont les mêmes acteurs et presque le même scénario. Ce qui est nouveau cette fois , c’est l’utilisation par la fachosphère Loups gris des médias sociaux pour propager de fausses rumeurs et organiser les rassemblements. En septembre 1955 c’est une édition spéciale du journal Istanbul Express qui diffusait la fausse information.
Ailleurs aussi l’ambiance actuelle fait des victimes. Sur une route près de Samsun, sur la Mer Noire, deux jeunes ouvriers agricoles qui rentraient chez eux à pied en pleine nuit, faute d’avoir trouvé un moyen de transport, ont été pris à tort pour deux PKK par une unité de gendarmerie. Gökhan Çetintaş, 16 ans a été tué. Il avait reçu 500 balles dans le corps. L’été dernier, dans la région d’Hatay ce sont des villageois retraités qui avaient été la cible d’un ball trap alors qu’ils récoltaient de la menthe dans la montagne. Une seule des cibles y avait échappé : il avait plongé dans une rivière.