Cet homme qui embrasse le sol de l’aéroport de Van, à sa descente de l’avion, revenait pour la première fois depuis 50 ans, là où il est né. Comme les 46 Juifs Baskale du groupe qui revenaient dans cette petite ville entre Van et Hakkari, ce jour là. Et c’est une histoire qui change des dépêches qui nous parviennent de la frontière turco iranienne où il arrive que ça barde parfois, mais où les gens ne passent pas leur temps à faire la guerre.
Les familles de ces Juifs Baskale étaient venues d’Egypte et s’étaient installées à Baskale avant la première guerre mondiale, selon les Yüksekova haber . Une centaine de familles juives vivaient dans ce district et l’avaient quitté il y a cinquante ans, pour Istanbul, Israël ou l’Europe (certains du groupe venaient d’Allemagne). Je ne sais pas encore dans quelles conditions exactement, Ni si ce sont dans les mêmes conditions que sont aussi partis les Arméniens (comme on appelle tous les Chrétiens dans le coin, mais je pense qu’il devait aussi y avoir des Syriaques) qui vivaient aussi là.
Dans son discours Derviş Polat le président du BDP local, le parti pro kurde, dit regretter la diversité ethnique et religieuse d »une l’époque où « Juifs, Arméniens, Turcs, Kurdes vivaient à Baskale ». Peut-être qu’ils avaient été incités à partir, Les années 60 n’étaient pas des années joyeuses pour les minorités religieuses en Anatolie.Ou peut-être que derniers arrivés, ils ont été les premiers à prendre le chemin des migrations de travail. En 1960 le trajet de Baskale à Istanbul prenait plusieurs jours.
En Mai dernier, le BDP qui a gagné la mairie aux dernières élections municipales, organisait leurs retrouvailles avec l’endroit où ils sont nés.Et ce n’était pas un petit événement. Ils étaient des centaines à accueillir leurs anciens compatriotes à l’aéroport de Van.
… et plus de 300 voitures faisaient un cortège au bus qui conduisait le groupe à Baskale. Bien sûr en tête parade le véhicule officiel du BDP.
Ils y retrouvaient leurs anciens voisins, avec lesquels ils renouent et parlent kurde ou turc, selon les rencontres . » 50 ans plus tard, je suis toujours du même village » dit l’un d’eux. Être du même village, c’est la base de l’identité et des solidarités dans toute l’Anatolie.
Des voisins qu’ils n’avaient pas toujours perdus de vue. L’homme qui embrasse le sol en arrivant à l’aéroport de Van explique plus tard qu’il a quitté le village à l’âge de 10 ans, mais qu’il a toujours continué à voir certains de ses camarades de classe. Il est probable que cette bande de vieux copains juifs et musulmans sont à l’origine de ces retrouvailles collectives.
İskender Ertuş, le chef du clan(Aşiret) des Gohreşan et aussi chef korucus (gardiens de village) les a aussi reçus. Pour simplifier, les sympathisants du BDP soutiennent généralement le PKK contre lequel les korucus sont armés et reçoivent une petite solde (et leur clan quelques autres avantages,qui peuvent ne pas être négligeables – surtout près de la frontière iranienne. Et celle avec l’Irak n’est pas loin non plus). Mais ceux qui connaissent la région, ou simplement un peu la Turquie, ne s’étonneront pas que des fractions ennemies fassent la paix dans un moment pareil. Même si période électorale aidant, c’était sans doute plus tendu à d’autres moments. En règle générale – mais il faut se méfier des généralités- les villages korucu votent pour l’Etat, c’est à dire AKP ces derniers temps.
Après un accueil à la mairie où une vidéo du passé juif de la petite ville leur avait été préparée, les Juifs Baskale sont allés se recueillir dans le cimetière juif de la petite ville.
Le groupe s’est ensuite rendu au village de Güroluk (Elenya) où lors de la visite au turbe (tombe) de Şêx İsmail Kutbeddin, tout le monde a fait une prière, Juifs et Musulmans. .
Il n’y a que ceux qui ne connaissent pas l’Orient qui s’en étonneront peut-être. Il n’est pas rare que des Musulmans (surtout des Musulmanes d’ailleurs) allument aussi des cierges aux Saints des églises chrétiennes. Et j’ ai vu des Chrétiens faire des jeux rituels au temple yézidi de Lalesh, où moi aussi j’ai noué un foulard en faisant un voeu. Le Mir Khamuran m’avait ensuite appris qu’à chaque couleur correspondait un ange, mais seuls les initiés savent auquel (si j’ai bien compris). Quant aux Chrétiens c’est à la croix en or qu’ils portaient et qu’ils avaient glissée sous leur chemise en entrant dans le temple yézidi, que j’en avais déduis qu’ils étaient Chrétiens. Mais une médaille pieuse est un indice auquel il ne faut pas forcément se fier, parce qu’ensuite nous avions fait la connaissance d’une famille yézidi dont la très jolie gelin (épouse d’un fils) portait une médaille de la Vierge. Le Mir qui connait son peuple m’avait ensuite assuré qu’elle savait très bien qui c’était : ce n’était pas seulement un bijou en or.
C’est dans le village de Güroluk / Elenya (qui ne me parait pas être un nom kurde) que le pique-nique était préparé . Et un pique-nique c’est un grand repas de fête en Orient, rien à voir avec ceux de la forêt de Rambouillet . Ce sont les villageois qui l’avaient préparé et avaient ouvert leurs maisons aux invités. » Lorsque j’étais petit on venait à pied (6 kims) jusqu’ici et on déjeunait aussi dans une des maisons du village » témoigne l’un de ceux qui y revenaient pour la première fois depuis cinquante ans.
Évidemment, les halay étaient impressionnants. Et c’était quand même autre chose comme ambiance que celle qui régnait au festival de Jazz d’Istanbul, le soir où Aynur Dogan devait y chanter.
On peut en juger sur la vidéo dont il est inutile de comprendre le turc et le kurde pour se délecter des sons et des images.
On peut voir d’autres images et cette vidéo de la journée, sur le site de la municipalité de Baskale.